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REVUE. — CHRONIQUE.

présentes, et l’on put voir au même instant, non-seulement dans la même nation, mais souvent dans le même homme, cette contradiction étrange en apparence et qui est si bien dans le caractère français : admiration théorique de l’esprit et des institutions du moyen-âge, et lutte acharnée et à la fin victorieuse contre les derniers restes de cette époque prolongés jusqu’au milieu de la nôtre.

En Allemagne, au contraire, où le bruit des questions et des assemblées politiques ne forme pas, comme en France, un perpétuel avertissement pour les imaginations ardentes, cette admiration pour le moyen-âge, pour le pape et l’empereur, sans contrepoids dans le présent, avait fait incliner les esprits, par un zèle aveugle d’imitation, vers des idées de despotisme politique et d’asservissement spirituel, qui seraient aujourd’hui pour l’Allemagne un anachronisme et un contre-sens. C’est contre cette tendance que Heine a voulu réagir en littérature ; ceux qui n’apprécieraient pas cette différence entre les effets du même mouvement littéraire en France et en Allemagne, s’expliqueraient mal Heine, et son antipathie passionnée jusqu’à l’injustice contre Mme de Staël ; c’est cette distinction à faire entre le catholicisme féodal d’Allemagne et le catholicisme de France, si empressé, depuis quelques années, à s’approprier les idées fécondes qui se produisent hors de son sein ; c’est cette distinction, dis-je, qu’Heine s’efforce d’établir dans la préface du livre dont nous parlons.

Si nous voulions le suivre dans ses travaux philosophiques, nous le verrions encore tendre au même but, au milieu de ses digressions et de l’indépendance de son allure. Les lecteurs de la Revue des Deux Mondes se souviennent avec quelle vigueur de bon sens et quelle verve d’imagination il a soufflé sur les vapeurs de la métaphysique allemande, avec quelle malice il a ridiculisé ces élucubrations profondes, qui, du cerveau des penseurs, n’ont pas la force de s’épancher sur le monde, savantes et laborieuses superfluités. C’est qu’en effet Heine, homme aux sympathies populaires, est impatient, dans son amour de la réalité, de voir enfin ce paradis si long-temps espéré, fût-ce celui de Mahomet, descendre sur la terre, de voir le corps, les sens, la vie matérielle en un mot, exilée jusqu’ici du sanctuaire, reconquérir enfin son droit de cité, et le peuple affranchi par là de ces jeûnes, de ces macérations rigoureuses, de ces abstinences sévères, qui lui sont si fort recommandées par les chanoines de la bourgeoisie catholique.

Après ce que nous venons de dire, on ne s’étonnera pas si le livre de Heine est dédié au père Enfantin qui lui avait fait demander d’Égypte quelques renseignemens sur la marche des idées en Allemagne. Les travaux les plus sérieux du saint-simonisme ont toujours eu pour objet la