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La Révolution française, qui, en aucune de ses crises, n’a manqué de grands hommes, a eu aussi ses femmes héroïques ou brillantes dont le nom s’approprie au caractère de chacune des phases successives. L’ancienne société en finissant a eu ses vierges et ses captives qui se sont couronnées d’un vif éclat dans les geôles et sur les échafauds. La bourgeoisie en surgissant a produit bien vite ses héroïnes aussi et ses victimes. Plus tard, l’orage à peine s’enfuyant, des groupes célèbres de femmes se sont élancés, qui ont fêté l’époque du retour à la vie sociale, à l’opulence et aux plaisirs. L’Empire a eu également ses distinctions dans ce sexe, alors pourtant de peu d’influence. On retrouve à la Restauration quelque nom de femme supérieure qui la représente dans la meilleure partie de ses mœurs et dans la distinction modérée de ses nuances. Mais ces diverses renommées successives, qui s’attachent à chacune des phases de la Révolution, viennent, en quelque sorte, trouver leur place et se donner rendez-vous en une seule célébrité qui les comprend et les concilie toutes dans leur ensemble, qui participe de ce qu’elles eurent de brillant ou de dévoué, de poli ou d’énergique, de sentimental ou de viril, d’imposant, de spirituel et d’inspiré, en relevant de plus, en encadrant tous ces dons par le génie qui les fait valoir et les immortalise. Issue de souche réformatrice par son père, Mme de Staël se rallie par son éducation et sa première jeunesse aux salons de l’ancien monde. Les personnages parmi lesquels elle a grandi et qui sourirent à son précoce essor, sont tous ceux qui composent le cercle le plus spirituel des dernières années d’autrefois. Lisant vers 1810, au temps de ses plus grandes persécutions, la correspondance de Mme du Deffant et d’Horace Walpole, elle se retrouvait singulièrement émue au souvenir de ce grand monde, dont elle avait connu beaucoup des personnages et toutes les familles. Si elle s’y fit remarquer dans sa première attitude par quelque chose de sentimental et d’extrêmement animé, à quoi se prenaient certaines aristocraties envieuses, c’est qu’elle était destinée à porter du mouvement et de l’imprévu partout où elle se serait trouvée. Mais même en se continuant dans ce cercle pacifique, sa vie en devenait déjà l’un des plus incontestés ornemens, et elle allait prolonger, sous une forme moins régulière et plus grandiose, cette galerie des salons