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traduisent souvent que mieux sa pensée subtile, son ame respirante et agitée ; et puis, comme art, comme poème, le roman de Corinne, à lui seul, présenterait un monument immortel. Artiste à un haut degré par Corinne, Mme de Staël demeure éminente en ses autres développemens, à titre de politique, de moraliste, de critique et d’écrivain de Mémoires. C’est cette vie une et variée, émanation de l’ame à travers les écrits, et qui ne circulait pas moins à l’entour et dans les circonstances de leur composition, que nous voudrions essayer d’évoquer, de concentrer par endroits, pour rendre aux autres l’impression sensible que nous nous en sommes formée. Nous savons combien il est délicat de faire accorder cette impression en partie conjecturale et déjà poétique avec celle de la réalité encore récente, combien les contemporains immédiats ont toujours quelque particularité à opposer à l’image qu’on veut concevoir de la personne qu’ils ont connue. Nous savons tout ce que nécessairement il y a dans une vie diverse, orageuse, d’infractions de détail au dessin général qu’on en recompose à distance. Mais ceci d’abord est bien moins une biographie, qu’une idée, un reflet de peinture morale sur la critique littéraire ; et j’ai tâché d’ailleurs, dans les traits généraux de ce grand esprit, de tenir compte de beaucoup plus de détails et de souvenirs minutieux qu’il ne convenait d’en exprimer.

Mme Germaine Necker, élevée entre la sévérité un peu rigide de sa mère et les encouragemens tantôt enjoués, tantôt éloquens de son père, dut pencher naturellement de ce dernier côté, et devint de bonne heure un enfant prodigieux. Elle avait sa place dans le salon, sur un petit tabouret de bois, près du fauteuil de Mme Necker, qui l’obligeait à s’y tenir droite ; mais ce que Mme Necker ne pouvait contraindre, c’étaient les réponses de l’enfant aux personnages célèbres, tels que Grimm, Thomas, Raynal, Gibbon, Marmontel, qui se plaisaient à l’entourer, à la provoquer de questions, et qui ne la trouvaient jamais en défaut. Mme Necker de Saussure a peint à merveille ces commencemens gracieux dans l’excellente notice qu’elle a écrite sur sa cousine. Mlle Necker lisait donc des livres au-dessus de son âge, allait à la comédie, en faisait des extraits au retour ; plus enfant, son principal jeu avait été de tailler en papier des figures de rois et de