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Grimm parle également (mais d’après un manuscrit communiqué), et donne un extrait de l’Éloge de M. de Guibert (1789), imprimé seulement depuis dans l’édition des œuvres complètes. L’enthousiasme de Mme de Staël ne va pas moins haut pour l’objet de cet éloge que tout à l’heure il n’éclatait pour Jean-Jacques, bien qu’un tel sentiment puisse sembler ici moins motivé ; mais elle a semé dans cet écrit les vues politiques hardies et neuves, en y prodiguant trop l’apothéose et la croyance au génie. À travers son exagération pathétique, qu’elle prend pour de la modération, elle réussit, quoi qu’il en soit, à nous faire estimer et plaindre ce personnage, fort admiré et fort envié en son temps, tout simplement oublié depuis, et qui ne vivra désormais un peu que par elle. M. de Guibert, dans son discours de réception à l’Académie, répéta nombre de fois le mot de gloire, trahissant par là involontairement, dit-elle, sa passion auguste. Pour moi, je sais gré à cet esprit noblement ambitieux, à cet homme de génie manqué, d’avoir conçu, l’un des premiers, les idées et les moyens de réforme, les états-généraux, la milice citoyenne ; mais je lui sais gré surtout d’avoir auguré avec certitude et exprimé à l’avance, sous les traits de Zulmé, les grandeurs futures de Corinne. Les succès de littérature et de monde attirèrent dès ce temps à Mme de Staël le persiflage des esprits railleurs, comme nous les verrons plus tard se liguer de nouveau contre elle, à l’époque de 1800. Champcenetz et Rivarol qui avaient donné le petit Dictionnaire des grands Hommes en 1788, firent, deux ans après, un autre petit Dictionnaire des grands Hommes de la Révolution, et le dédièrent à la baronne de Staël, ambassadrice de Suède auprès de la Nation. Cette épître atteignit du premier coup le diapason du ton auquel furent montées la plupart des critiques venues dans la suite. Rivarol et Champcenetz possédaient bien en effet le tour d’ironie dont plus tard les Fiévée, les Hoffmann et autres firent preuve contre Mme de Staël. Mais dès lors, au dire de Grimm, l’objet de ces satires avait su se placer à une hauteur où de pareils traits ne portaient pas. — Les terribles évènemens de la révolution française vinrent couper court à cette première partie d’une vie littéraire si brillamment accueillie, et suspendre, utilement je le crois, pour la pensée, le tourbillon mondain qui ne laissait pas de trêve.