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REVUE DES DEUX MONDES.

Peignent leur cime auguste au milieu de ses eaux :
Quoi ! disais-je, ce calme où se plaît la nature
Ne peut-il pénétrer dans mon cœur agité ?
Et l’homme seul, en proie aux peines qu’il endure,
De l’ordre général serait-il excepté ?


Ce sentiment du désaccord de la nature glorieuse et en fête avec les souffrances et la mort de l’homme a inspiré des accens d’amertume ou de mélancolie à la plupart des poètes de nos jours : à Byron dans le début magnifiquement ironique du second chant de Lara[1] ; à Shelley vers la fin si contristée d’Alastor[2] ; à M. de Lamartine dans le dernier Pélerinage de Childe-Harold[3] ; à M. Hugo en l’un des Soleils couchans de ses Feuilles d’automne[4]. Corinne elle-même, au cap Misène, n’a-t-elle pas repris cette haute inspiration : « Ô Terre toute baignée de sang et de larmes, tu n’as jamais cessé de produire et des fruits et des fleurs ! Es-tu donc sans pitié pour l’homme ? et sa poussière retournerait-elle dans ton sein maternel sans le faire tressaillir ? » D’où vient maintenant qu’un poète par l’ame et par l’expression, comme l’était Mme de Staël, abordant en vers un sentiment si profond chez elle, l’ait prosaïquement rendu ? Cela tiendrait-il, comme le dit Mme Necker de Saussure, à ce que, le mécanisme de la versification s’étant tellement perfectionné en France, le travail qu’il exige amortit la verve quand on n’y est pas suffisamment habitué ? Cela tiendrait-il, comme un critique moins indulgent l’a conjecturé, à ce que, ne s’assujettissant

  1. But mighty Nature bounds as from her birth, etc.

    (Lara, cant. ii.)

  2. ........ and mighty Earth,
    From sea and mountain, city and wilderness, etc.

    (Alastor.)

  3. Triomphe, disait-il, immortelle Nature, etc.

    (Dernier chant de Childe-Harold, xlii.)

  4. Je m’en irai bientôt au milieu de la fête,
    Sans que rien manque au Monde immense et radieux.

    (Feuilles d’Automne, xxxv.)

    En comparant les quatre poètes sur cette même pensée, on saisira bien le caractère différent de leur inspiration habituelle.