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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

zélés défenseurs contre le déchaînement et la virulence du parti contraire. Après cela, hâtons-nous de le dire, nous ne voulons faire, à aucun moment, Mme de Staël plus circonscrite en matière de pensée, plus circonspecte en matière de relations, plus exclusive enfin qu’elle ne l’a réellement été. Elle a toujours été précisément le contraire d’être exclusive. En même temps que sa jeune et mâle raison se déclarait pour cette cause républicaine, son esprit, ses goûts sympathisaient par mille côtés avec des opinions et des sentimens d’une autre origine, d’une nature ou plus frivole ou plus délicate, mais profondément distincte. C’est un honneur, et un peu son faible, d’avoir pu ainsi allier les contraires. Si Garat, Cabanis, Chénier, Ginguené, Daunou, se réunissaient à dîner chez elle avec Benjamin Constant une fois par semaine ou plutôt par décade (on disait encore ainsi), les neuf autres jours étaient destinés à d’autres amis, à d’autres habitudes de société, à des nuances de sentiment qui ne faisaient jamais invasion dans les teintes plus sévères. Tout cela, je le crois bien, avait pour elle un certain ordre, une certaine hiérarchie peut-être : M. de Montmorency ou tel autre du même monde ne se serait jamais rencontré, par hasard, chez elle, le jour où les écrivains de la Décade philosophique y dînaient réunis. Ginguené en faisait parfois la remarque en s’en revenant, et ne se montrait pas trop satisfait de ces séparations exactes, un peu suspectes, à son gré, d’aristocratie. Ses compagnons le ramenaient bientôt à plus de tolérance : l’amabilité élevée, le charme sérieux de Mme de Staël maintenait tout.

Le livre de la Littérature considérée dans ses Rapports avec les Institutions sociales parut en 1800, un an environ avant cette autre publication rivale et glorieuse qui se présageait déjà sous le titre de Beautés morales et poétiques de la Religion chrétienne. Quoique le livre de la Littérature n’ait pas eu depuis lors le retentissement et l’influence directe qu’on aurait pu attendre, ce fut dans le moment de l’apparition un grand évènement pour les esprits, et il se livra à l’entour un violent combat. Nous tâcherons d’en retracer la scène, les accidens principaux, et d’en ranimer quelques acteurs du fond de ces vastes cimetières appelés journaux, où ils gisent presque sans nom.

On a souvent fait la remarque du désaccord frappant qui règne entre les principes politiques avancés de certains hommes et leurs