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grands adversaires, il s’attaqua d’abord à Aristote ; et, quand survint la querelle des indulgences, il s’attaqua au pape.

Au moment où il engagea cette seconde lutte, il avait trente-quatre ans. Sa stature était moyenne, sa poitrine large, son front vaste, ses yeux pleins de feu, d’énergie et de fierté. Sous cette vigoureuse enveloppe, il y avait une intelligence puissante, un cœur indomptable, une ame ardente et profonde. Luther était la force même. Il alliait les qualités les plus contraires. Il était violent et bon, austère et enjoué, convaincu et adroit, persuasif et impérieux ; il avait l’humilité du chrétien et l’orgueil du grand homme. Aussi cette nature énergique, qui avait acquis encore plus de ressort sous les compressions du cloître, lui permit de faire deux choses, dont l’une suffit pour la gloire, de renverser et de construire. Il établit l’examen, et il sut maintenir l’obéissance ; il se fit suivre comme révolutionnaire, et il s’imposa comme législateur ; il alla réveiller dans le cœur des hommes des passions qui y étaient endormies depuis des siècles ; mais ces passions et ces idées qu’il avait soulevées, il les renferma dans les limites de ses desseins.

La forme catholique avait été la plus belle, la plus complète, la plus poétique, la plus imposante des formes revêtues par le christianisme ; elle avait porté le plus loin l’esprit de sacrifice et d’union, le plus heureusement mêlé les arts terrestres aux sentimens divins, le plus obtenu des forces de l’homme et le plus fait pour l’organisation de la société. Elle avait formé l’Europe. D’un bout du continent à l’autre, elle avait établi cette homogénéité de civilisation qui exigeait une seule pensée sous une seule autorité, la soumission de l’esprit à la loi, du pouvoir politique au pouvoir religieux, pour repousser tant d’invasions, transformer tant de peuples, assouplir tant de rudesses, maîtriser tant de passions, surmonter tant de désordres. Mais après avoir accompli cette grande tâche par l’unité de l’Europe et la sécurité de la civilisation, elle avait perdu de sa force. L’esprit de Luther s’y trouva à l’étroit ; il la brisa, et les éclats de cette puissante unité allèrent frapper toutes les vieilles institutions du monde et le couvrirent de leurs débris.

Luther attaqua d’abord seulement la vente et le mérite des indulgences par ses prédications et ses thèses contre le dominicain Tetzel. Mais la contestation s’étendit bientôt de ce point de la doc-