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Ni enseignement ni poème, c’est-à-dire ni vérité, ni beauté ; qu’est-ce donc ? Est-ce au moins un ensemble de réalités, étudiées attentivement, entassées pêle-mêle, mais entières, mais irrécusables, et d’où le philosophe et le poète pourront un jour tirer des leçons et des poèmes enfouis ? Je me résigne difficilement à prendre pour l’expression d’une fausse modestie les très humbles salutations de M. de Lamartine. Mon embarras est grand, je l’avoue. Chacune des paroles prononcées dans la préface de ce voyage par l’illustre auteur des Méditations et des Harmonies, est empreinte d’une telle sincérité, il se condamne avec une candeur si parfaite, il enveloppe toute cette liasse de notes dans un dédain si sûr de lui-même, que je suis volontiers tenté de le prendre au mot. C’est donc un mauvais livre ? un livre qui n’apprend rien, qui ne laisse aucune trace dans la mémoire ? Ici, je le sens, il ne faut pas se prononcer à la légère ; il faut mesurer ses coups, pour ne pas frapper à faux. La position littéraire de M. de Lamartine, le rang glorieux qu’il a conquis dans la poésie française depuis 1819, ses tentatives récentes pour atteindre la renommée politique, ou du moins la renommée oratoire, tout m’impose le devoir d’examiner sérieusement les pièces du procès. Assez d’autres approuveront à l’étourdie, sur la signature du livre, assez d’autres se laisseront aller aveuglément à l’indolence de leur admiration. La foule paresseuse qui s’agite dans les salons de Paris, et qui discute à la même heure la couleur d’un ruban, la forme d’un gilet, la créance américaine et la recomposition du ministère anglais, fera bon marché de ses louanges ; elle ne luttera pas contre l’entraînement de ses habitudes. Rien ne s’oppose à ce qu’une voix grave et franche essaie de se faire entendre parmi les chuchotemens et les causeries.

Or, savez-vous quels pays M. de Lamartine a visités dans le court espace de seize mois ? Savez-vous quelles villes il a parcourues, quels paysages il a traversés ? La Grèce, la Syrie, la Judée, la Turquie et la Servie.

Pourquoi cette promenade plutôt qu’une autre ? Pourquoi l’Orient plutôt que l’Italie ou l’Allemagne ? Était-ce pour se consoler de sa défaite aux élections, était-ce pour oublier l’échec de ses nombreuses candidatures, que M. de Lamartine se décidait à fréter un navire ? Allait-il apprendre dans l’agora d’Athènes le secret des