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L’OR DES PINHEIROS.

Serra de Mantiqueira, un canot indien aborda sur la rive méridionale du Tiete, au lieu même où les Ramalhos s’étaient embarqués long-temps auparavant. Dans le fond de l’embarcation gisait étendu un homme en apparence accablé par la maladie, qu’à son teint cuivré et à sa nudité presque complète on eût pris pour un Indien, si ses traits, quelques haillons qui couvraient son corps, et sa longue barbe, n’eussent indiqué clairement son origine en partie européenne. Au moment où le canot toucha la terre, la secousse sembla le tirer de sa stupeur ; il leva péniblement la tête et adressa quelques mots dans leur langue aux Indiens qui le conduisaient. Sur la réponse de ceux-ci, ses forces parurent renaître subitement ; il s’élança hors du canot, tomba à genoux sur la terre, l’embrassa en fondant en larmes, et perdit connaissance. Quand il fut revenu à lui, les Indiens le placèrent dans un hamac qu’ils avaient tendu entre deux arbres, et se dispersèrent de côté et d’autre, en quête de quelque gibier et de poisson pour le repas du soir. Cette petite troupe paraissait devoir passer la nuit dans ce lieu désert.

Le lendemain de cet évènement si insignifiant en apparence, une étrange agitation régnait dans Saint-Paul. Une foule nombreuse était rassemblée sur la grande place de la ville ; les deux familles ennemies se trouvaient en présence, comme si un engagement décisif allait avoir lieu entre elles. Malgré la confusion qui semblait exister au premier coup d’œil entre les groupes, les partisans de l’une ne se mêlaient pas à ceux de l’autre ; tous les regards se portaient vers le centre de la place, où les Pinheiros entouraient un homme hâve, décharné, ayant peine à se tenir debout. Cet homme était Jose Manoel Cabral, débarqué la veille sur les bords du Tiete. L’aspect du sol natal et l’impatience de revoir les siens avaient agi si vivement sur lui, qu’après quelques heures de repos il s’était senti la force de se remettre en route. Porté dans un hamac par les Indiens qui l’avaient conduit jusque-là, il avait franchi, pendant la nuit, les neuf lieues environ qui le séparaient de Saint-Paul. Le bruit de son arrivée s’était répandu aussitôt avec la rapidité de l’éclair, et avant d’avoir pu gagner le logis de son oncle, Manoel s’était vu entouré d’une foule, moitié amie, moitié ennemie, avide d’entendre le récit de ses aventures. Ses pareils avaient évidemment seuls ce droit ; mais les Ramalhos paraissaient décidés à le leur