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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

yeux sur Fredegonde, il répondit : « Et qui a frappé ce coup, si ce n’est la main qui a tué des rois, qui a si souvent répandu le sang innocent et fait tant de maux dans le royaume[1] ? » Aucun signe de trouble ne parut sur le visage de la reine, et comme si ces paroles eussent été pour elle vides de sens, et le simple effet d’un dérangement fébrile, elle reprit du ton le plus calme et le plus affectueux : « Il y a auprès de nous de très habiles médecins qui sont capables de guérir cette blessure ; permets qu’ils viennent te visiter[2]. » La patience de l’évêque ne put tenir contre tant d’effronterie, et dans un transport d’indignation qui épuisa le reste de ses forces, il dit : « Je sens que Dieu veut me rappeler de ce monde ; mais toi qui t’es rencontrée pour concevoir et diriger l’attentat qui m’ôte la vie, tu seras dans tous les siècles un objet d’exécration, et la justice divine vengera mon sang sur ta tête. Fredegonde se retira sans dire un mot, et après quelques instans, Prætextatus rendit le dernier soupir[3].

À cette nouvelle, toute la ville de Rouen fut dans la consternation ; les citoyens, sans distinction de races, Romains ou Franks, s’unirent dans le même sentiment de tristesse mêlée d’horreur. Les premiers, n’ayant hors des limites de leur cité aucune existence politique, ne savaient exprimer qu’une douleur impuissante à la vue du crime dont une reine était le principal auteur ; mais parmi les autres, un certain nombre au moins, ceux à qui leur fortune ou leur noblesse héréditaire faisait donner le titre de seigneurs, pouvaient, selon le vieux privilége de la liberté germanique, parler haut à qui que ce fût, et atteindre en justice tous les coupables[4]

  1. Sciens autem eam sacerdos haec dolosè proferre, ait : « Et quis haec fecit, nisi is qui reges interemit, qui saepiùs sanguinem innocentem effudit ?… » (Greg. Turon. Hist. lib. viii, pag. 327.)
  2. Respondit mulier : « Sunt apud nos peritissimi medici, qui huic vulneri mederi possunt ; permitte ut accedant ad te. » (Ibid.)
  3. Et ille : « Jam, inquit, me Deus praecipit de hoc mundo vocari. Nam tu quae his sceleribus princeps inventa es, eris maledicta in saeculo, et erit Deus ultor sanguinis mei de capite tuo… » (Ibid.)
  4. Magnus tunc omnes Rothomagenses cives, et praesertim seniores loci illius Francos, moeror obsedit. (Ibid.).