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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

autres, l’avaient touchée au cœur et diversement contristée. Elle se voyait entourée d’une contagion de fatalité qu’elle communiquait aux êtres les plus chers ; sa tête s’exaltait sur les dangers. « Je suis l’Oreste de l’exil, s’écriait-elle au sein de l’intimité qui se dévouait pour elle. » Et encore : « Je suis dans mon imagination comme dans la tour d’Ugolin. » Trop à l’étroit dans Coppet et surtout dans son imagination terrible, elle voulait à toute force ressaisir l’air libre, l’espace immense. Le préfet de Genève, M. Capelle, qui avait succédé à M. de Bayante père révoqué, lui insinuait d’écrire quelque chose sur le roi de Rome ; un mot lui eût aplani tous les chemins, ouvert toutes les capitales ; elle n’y songea pas un seul instant, et dans sa saillie toujours prompte, elle ne trouvait à souhaiter à l’enfant qu’une bonne nourrice. Les dix Années d’Exil peignent au naturel les vicissitudes de cette situation agitée ; elle s’y représente étudiant sans cesse la carte d’Europe comme le plan d’une vaste prison d’où il s’agissait de s’évader. Tous ses vœux tendaient vers l’Angleterre, elle y dut aller par Saint-Pétersbourg.

C’est dans de telles dispositions long-temps couvées, et après cette crise résolue en une véritable maturité intérieure, que la Restauration trouva et ramena Mme de Staël. Elle avait vu Louis xviii en Angleterre : « Nous aurons, annonçait-elle alors à un ami, un « roi très favorable à la littérature. » Elle se sentait du goût pour ce prince, dont les opinions modérées lui rappelaient quelques-unes de celles de son père. Elle s’était entièrement convertie aux idées politiques anglaises, dans cette Angleterre qui lui semblait le pays par excellence à la fois de la vie de famille et de la liberté publique. On l’en vit revenir apaisée, assagie, pleine sans doute d’impétuosité généreuse jusqu’à son dernier jour, mais fixée à des opinions semi-aristocratiques, qu’elle n’avait, de 95 à 1802, aucunement professées. Son hostilité contre l’Empire, son absence de France, sa fréquentation des souverains alliés et des sociétés étrangères, la fatigue extrême de l’ame qui rejette la pensée aux impressions moins hardies, tout contribua chez elle à cette métamorphose. Mme de Staël, en vieillissant, devait volontiers se rapprocher des idées anciennes de son père. De même qu’on a remarqué que les tempéramens, à mesure qu’on vieillit, reviennent au type primitif qu’ils marquaient dans l’enfance, se dépouillant ainsi par degrés des