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se préparer au voyage. Il n’y avait pas à douter que la paix ne fût parfaitement rétablie, car tous s’empressaient autour de nous et avaient repris avec leur conduite amicale et pleine de confiance cette expression de gaieté bienveillante qui leur était habituelle.

Il était dix heures quand nous nous mîmes en route. Le bagage et les provisions furent placés sur deux traîneaux attelés chacun de six chiens, et nous glissâmes avec une grande vélocité sur la glace unie de la baie. Après que nous eûmes ainsi parcouru dix à douze milles, notre guide Poo-yet-tah arrêta son traîneau et dit qu’il allait visiter un trou à phoques qu’il connaissait à quelque distance sur la gauche. Comme je ne pouvais m’empêcher de lui soupçonner l’intention de nous quitter et de s’en retourner au village, je lui proposai de l’accompagner, ce à quoi il consentit sans hésiter. Nous marchions depuis quelque temps, lui en avant, lorsqu’il se retourna, et me frappant sur la poitrine, il me dit que j’étais « bon ; » remarquant en même temps pour la première fois que j’avais laissé mon fusil en arrière, il mit sa lance dans ma main, en ajoutant que, puisqu’il était armé, il fallait que je le fusse aussi : il tira alors, pour lui servir d’arme, son long couteau qu’il tenait caché sous ses vêtemens. Arrivé au trou à phoques, il approcha son nez de la mince couche de glace qui le recouvrait, et dit que l’animal était parti depuis quelques jours. Comme il n’y avait pas de remède, nous regagnâmes nos traîneaux. »

Nos voyageurs continuèrent leur course et ne s’arrêtèrent qu’à dix heures du soir, après avoir parcouru un espace de trente milles. Les Esquimaux bâtirent en quelques instans une excellente hutte en neige, et hommes et chiens, accablés de fatigue, se livrèrent au repos. Une tempête violente qui dura toute la nuit, les empêcha de se remettre en route le jour suivant avant neuf heures du matin.

« Nous fîmes halte à cinq heures du soir afin de faire des observations de longitude. Il n’était pas surprenant que la vue de nos instrumens réveillât dans l’esprit de notre guide la croyance que nous étions des sorciers. Comme l’idée de manger est toujours celle qui prédomine dans le cerveau d’un Esquimaux, et que la chasse et la pêche sont l’unique occupation de sa vie, ses questions roulèrent naturellement sur ce sujet. Devions-nous découvrir des bœufs musqués au moyen de cette inexplicable machine de cuivre ? ou était-ce pour les apercevoir sur les collines que nous regardions si attentivement à travers ces tubes et ces verres ? Nous étions en effet dans les parages fréquentés par ces animaux, et il était naturel de croire que nous étions venus aussi loin et avions pris tant de peine dans ce but le plus important de tous, un dîner. Poo-yet-tah avait