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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

Malgache. Il laissait quelquefois son journal du soir dormir sous sa bande bleue jusqu’au lendemain matin, pressé qu’il était de préparer les fleurs dans l’herbier et les insectes sur leur piédestal de moelle de sureau. Quelles belles courses nous faisions à l’automne, le long des bords de l’Indre, dans les prés humides de la vallée noire ! Je me souviens d’un automne qui fut tout consacré à l’étude des champignons, et d’un autre automne qui ne suffit pas à l’étude des mousses et des lichens. Nous avions pour bagage une loupe, un livre, une boîte de ferblanc destinée à recevoir et à conserver les plantes fraîches, et par-dessus tout cela, mon fils, un bel enfant de quatre ans qui ne voulait pas se séparer de nous, et qui a pris là et conservé la passion de l’histoire naturelle. Comme il ne pouvait marcher long-temps, nous échangions alternativement le fardeau de la boîte de ferblanc et celui de l’enfant. Nous faisions ainsi plusieurs lieues à travers les champs, dans le plus grotesque équipage, mais aussi consciencieusement occupés que tu peux l’être au fond de ton cabinet, à cette heure de la nuit, où je te raconte les plus belles années de ma jeunesse…

Le rossignol a envoyé une si belle modulation jusqu’à mon oreille, que j’ai quitté le Malgache et toi, pour aller l’écouter dans le jardin. Il fait une nuit singulièrement mélancolique ; un ciel gris, des étoiles faibles et voilées, pas un souffle dans les plantes, une impénétrable obscurité sur la terre. Les grands sapins élèvent leurs masses noires et vagues dans l’air grisâtre. La nature n’est pas belle ainsi, mais elle est solennelle et parle à un seul de nos sens, celui dont le rossignol parle si éloquemment à un être semblable à lui. Tout est silence, mystère, ténèbres ; pas une grenouille verte dans les fossés, pas un insecte dans l’herbe, pas un chien qui aboie à l’horizon ; le murmure de la rivière ne nous arrive même pas ; le vent souffle du sud, et l’emporte en traversant la vallée. Il semble que tout se taise pour écouter et recueillir avidement cette voix brûlante de désirs et palpitante de joies que le rossignol exhale. Ô chantre des nuits heureuses ! comme l’appelle Oberman… Nuits heureuses pour ceux qui s’aiment et se possèdent ; nuits dangereuses à ceux qui n’ont point encore aimé ; nuits profondément tristes pour ceux qui n’aiment plus ! Retournez à vos livres vous qui ne voulez plus vivre que de la pensée,