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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

au milieu de vous, vieux chrétiens ? Dieu me punisse, si vous n’êtes pas des anges, car rien ne vous rebute, rien ne vous ébranle. Vous venez à nous avec tendresse, et te voilà m’appelant ton jeune frère et ton cher enfant, moi un polisson qu’il faudrait renvoyer à sa pipe et à ses romans. Ô prosélytisme ! fasse des distinctions qui voudra ; peu m’importe le nom qu’on te donnera, pourvu que je voie émaner de toi des leçons de vertu et des actes de charité.

Il faut pourtant que je te conte mes peines, ô mon pauvre prophète méconnu ! On essaie de mettre tes enfans en méfiance contre toi. L’esprit de parti n’a pas de scrupule. On nous dit que vous êtes des glorieux, des ambitieux, des brouillons, des halbrenés ; enfin qu’il faut te mettre, et nous tous qui t’aimons, avec toi, aux Petites-Maisons.

Tout cela ne serait que risible, si des hommes d’esprit et de cœur ne s’en mêlaient pas aussi sur la foi d’autrui, ou ne montraient tout au moins, par leur silence devant nous, qu’ils se méfient de nous et de toi. Cela n’attriste pas ces bons champions qui sont habitués à l’orage, mais moi qui reviens de Babylone où j’ai dormi cinq ans dans l’ivresse, et qui tombe, en me frottant les yeux, au beau milieu de notre jeune Sion, je suis tout contristé et tout abattu de voir le rempart d’airain que l’indifférence ou l’antipathie des gentils a placé autour de nous. Sortirons-nous jamais de là, mon maître ? Je vois bien que nous essayons de temps en temps de braves et vaillantes sorties. Mais les meilleurs d’entre nos frères y succombent, et quand nous rentrons sous nos tentes, les clameurs, les malédictions et les huées des vainqueurs, viennent y troubler nos prières. — Ce qui me fâche le plus, moi, ce sont les huées. Je les connais, ces diables de gentils, pour avoir été en captivité chez eux. Je sais comme ils sont malins et quelles flèches acérées leur ironie décoche contre nous. — Songe bien que je ne suis pas un serviteur bien éprouvé, moi ; j’entends déjà leurs lardons m’assaillir, pour la singulière figure que je fais en habit de soldat de la république ; je t’en prie, mon cher maître, laisse-moi m’en aller à Stamboul. J’ai affaire par là. Il faut que je passe par Genève, que