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DE LA DÉMOCRATIE AMÉRICAINE.

suite gagné, de proche en proche, les états les plus éloignés, rencontrant au sud quelques obstacles dans la triste opposition de la race blanche et de la race noire.

Tout a été singulier et original dans la fondation de la Nouvelle-Angleterre. Pour la première fois, des colons, ne relevant point d’une compagnie ou d’un gouverneur chargé de les administrer sous les ordres immédiats du roi, avaient obtenu le droit de se gouverner eux-mêmes, en tout ce qui n’était pas contraire aux lois de la mère-patrie. Pour la première fois, on voyait se former une société politique avec des familles sorties des classes les plus éclairées, les plus morales et les plus riches de leurs pays, et s’exilant, non pour acquérir de plus grandes richesses, mais pour faire triompher une idée. Elles appartenaient, en grande majorité, à cette secte puritaine qui mettait le zèle religieux au service d’une véritable théorie démocratique et républicaine.

Aussi la Nouvelle-Angleterre reconnaît et applique en naissant les principes généraux des constitutions modernes, à peine entrevus par l’Europe du xviiie siècle. L’intervention du peuple dans ses affaires, le vote libre de l’impôt, l’élection et la responsabilité des agens du pouvoir, la liberté individuelle et le jugement par jury, y sont établis sans discussion et en fait.

Dès 1650, l’indépendance communale, qui est encore de nos jours comme la vie de la liberté américaine, est complètement constituée. La commune de la Nouvelle-Angleterre nomme ses magistrats de tout genre, se taxe, répartit et lève l’impôt sur elle-même. La loi de la représentation n’y est point admise : c’est dans l’assemblée générale des citoyens que se traitent les affaires. Le sort des pauvres est assuré, et la fréquentation des écoles par les enfans est imposée aux pères de famille comme la première des obligations sociales. Le législateur entre dans mille détails, pour faire observer la morale chrétienne ; mais les mœurs sont encore plus religieuses que la loi.

La religion voit dans la liberté civile un noble exercice des facultés de l’homme ; dans le monde politique, un champ livré par le créateur aux efforts de l’intelligence. La liberté voit dans la religion la compagne de ses luttes et de ses triomphes, le berceau de son enfance, la source divine de ses droits.

Dans l’ordre moral, tout est classé, coordonné, prévu, décidé d’avance. Dans l’ordre politique, tout est agité, contesté, incertain. Telle est l’origine de deux tendances différentes, mais non contraires, qui distinguent les Anglo-Américains. Ils recherchent avec une ardeur égale le ciel dans l’autre monde, la richesse, le bien-être et la liberté dans celui-ci.