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DE LA DÉMOCRATIE AMÉRICAINE.

nation européenne qui soit plus homogène que la population de ce vaste continent. Si les hommes qui le couvrent n’ont pas entre eux d’intérêts contraires, son étendue même doit servir à leur prospérité. L’unité du gouvernement les dispense en effet de plusieurs armées et de plusieurs lignes de douanes, favorise l’échange des divers produits du sol, et, en rendant leur écoulement plus facile, en augmente la valeur.

Or, les habitans du sud doivent désirer de conserver l’union pour ne pas demeurer seuls en face des noirs, et les habitans de l’ouest, afin de ne pas se trouver enfermés au sein de l’Amérique centrale sans communication libre avec l’univers. Le nord, de son côté, doit vouloir que l’Union ne se divise point, afin de rester comme l’anneau qui joint ce grand corps au reste du monde. Il existe donc un lien étroit entre les intérêts matériels de toutes les parties du continent américain.

On peut en dire autant pour les opinions et les sentimens qu’on pourrait appeler les intérêts immatériels de l’homme. Du Maine aux Florides, du Missouri jusqu’à l’Océan Atlantique, on croit que l’origine de tous les pouvoirs légitimes est dans le peuple ; on conçoit les mêmes idées sur la liberté et l’égalité. Il n’y a pas une seule doctrine religieuse qui soit étrangère à la morale chrétienne ou hostile aux institutions républicaines, et si la religion y paraît moins puissante qu’elle ne l’a été dans certains temps et chez certains peuples, c’est de nos jours le lieu du monde où elle a conservé le plus de pouvoir sur les ames.

Le gouvernement républicain, aux États-Unis, est le règne régulier de la majorité ; mais la majorité elle-même n’est pas toute puissante. Au-dessus d’elle, dans le monde religieux et moral, se trouvent les croyances chrétiennes, l’humanité, la justice, la raison ; dans le monde politique, les droits acquis. La nation américaine tout entière place dans la raison universelle l’autorité de la morale, comme le pouvoir politique dans l’universalité des citoyens. Elle croit que chacun a reçu la faculté de se gouverner lui-même, et, que nul n’a le droit de forcer son semblable à être heureux ; elle a foi dans la perfectibilité humaine, se considère comme un corps en progrès, et admet que ce qui lui semble bon aujourd’hui peut être remplacé demain par le mieux qui se cache encore.

Ainsi tout concourt au maintien de la démocratie des États-Unis, les mœurs beaucoup plus que les lois, et les lois beaucoup plus que les circonstances physiques.

Tout en reconnaissant ce qu’il y a de vrai dans cette balance de ses prospérités et de ses inconvéniens, nous ne pouvons adhérer à plusieurs opinions de M. de Tocqueville. Sa définition du sentiment de l’envie considérée comme un défaut particulier de la démocratie nous paraît man-