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vraiment le but de la démocratie américaine, son emploi ou sa mission générale, son avenir probable.

La démocratie américaine, c’est une force prodigieusement puissante et rapide en sa crue, qui, pour défricher un monde, se confie à la complète liberté de la raison humaine, à l’énergie de l’intérêt personnel, à l’inépuisable fécondité de ses ressources territoriales, à l’harmonie d’une société libre dès sa naissance, et favorisée en toutes choses dans les merveilleux élancemens de son heureuse activité.

« Elle compte aujourd’hui 14,000,000 d’habitans. À la fin de ce siècle, elle en aura 100,000,000[1], tous égaux entre eux, parlant la même langue, professant la même religion, ayant les mêmes mœurs et soumis à de communes inspirations. Tout le reste est douteux ; mais ceci est certain. Or, voici un fait entièrement nouveau dans le monde, et dont l’imagination ne saurait saisir la portée.

  1. Le territoire maintenant occupé par les États-Unis forme à peu près la vingtième partie des terres habitées. Si la population continue à doubler en vingt-deux ans, pendant un siècle encore, comme elle l’a fait depuis deux cents ans, on comptera, dans vingt ans, 24,000,000 d’Américains, 48,000,000 en 1874, 96,000,000 en 1896. Les terres propres à la culture peuvent facilement contenir ce nombre d’habitans, qui ne donnerait que 762 individus par lieue carrée. Or, la population moyenne de la France est de 1,063, celle de l’Angleterre de 1,457, celle de la Suisse, malgré ses lacs et ses montagnes, de 783 habitans par lieue carrée.

    Cinquante-sept fleuves navigables apportent leurs eaux au Mississipi qui arrose plus de 1,000 lieues dans son cours. La vallée du Mississipi, renfermée entre les Montagnes Rocheuses et les Alléghanys, comprend 228,843 lieues carrées, espace environ six fois plus grand que la superficie de la France. Elle est infiniment plus fertile que le versant oriental des Alléghanys où se sont portés les premiers efforts des émigrans. Cette raison, ajoutée à toutes les autres, pousse énergiquement la population américaine vers l’ouest. On a calculé qu’elle s’avançait, chaque année, dans cette direction, d’environ sept lieues.

    Il y a quarante ans, la majorité des citoyens de l’Union était sur les bords de l’Atlantique, aux environs de l’endroit où s’élève aujourd’hui Washington ; maintenant elle se trouve plus enfoncée dans les terres et plus au nord. On ne saurait douter qu’avant vingt ans elle ne soit de l’autre côté des Alléghanys. Dans trente ou quarante ans, la population de la vallée du Mississipi, comparée à celle des anciens états, sera dans la proportion de quarante à onze.

    L’Europe a 410 habitans par lieue carrée. Avec le même nombre, l’Amérique du Nord aurait 150,000,000 d’habitans.