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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/121

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VOYAGE EN NORWÉGE.

Le tonnerre des eaux, répercuté par les échos, résonnait comme incertain, et m’arrivait de tous côtés ; j’étais comme entouré de ce son formidable, semblable à celui des orages des tropiques, quand ils s’allument à la fois aux quatre points de l’horizon. Ainsi préparé au grand spectacle que j’allais voir, je craignais qu’il ne fût au-dessous de mon attente ; mais il passa de bien loin toutes mes prévisions. Un mur de rochers me dérobait la cataracte ; le rideau disparut, et j’embrassai d’un coup d’œil la plus magnifique scène qui se fût jamais présentée aux regards du voyageur. Devant moi s’ouvrait un gouffre d’environ mille pieds de profondeur ; les parois étaient coupées à pic, quelquefois surplombantes, noires comme de l’encre, et brillantes d’une humidité continuelle ; elles s’abaissaient irrégulièrement, saccadées et brisées en énormes crevasses, depuis leur sommet, inondé de lumière, jusqu’au fond, noyé dans l’ombre et la vapeur. La longueur du précipice pouvait être de quinze cents pieds, et sa largeur de douze cents. En face de nous, deux immenses sillons étaient excavés dans la muraille gigantesque : de celui qui se trouvait le plus à gauche descendait la rivière, ou plutôt le fleuve, qui, perdant pied tout à coup, et rencontrant le vide, tombait perpendiculairement de sept cents pieds de haut, en une masse prodigieuse d’écume. La pression de l’air était si forte, que la vapeur, chassée hors de cette première crevasse, ne pouvait remonter à côté, comme c’est l’ordinaire dans les cascades ; elle était refoulée jusqu’à l’autre enfoncement ; et là, se trouvant en liberté, elle montait comme une vaste colonne de fumée blanche, et remplissant la profondeur du rocher, s’élevait beaucoup plus haut que la chute elle-même. Il y avait donc deux cataractes, l’une descendante, l’autre ascendante ; la première tranchait, par sa blancheur éclatante, sur les noires parois de basalte qui la bordaient ; l’autre, non moins blanche, mais plus indécise, les cachait, ou les laissait voir, suivant que le tourbillon éternel, qui régnait dans cette caverne, l’agitait plus ou moins violemment. Tantôt elle s’élançait jusqu’aux nuages en brillans arcs-en-ciel ; tantôt, refoulée par le vent, elle voilait comme un brouillard l’horrible aspect du gouffre. Dans le fond régnait un enfer d’eau, un indicible chaos d’écume. Les molécules liquides qui remplissaient ce grand bassin n’avaient