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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/70

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REVUE DES DEUX MONDES.

Servitude militaire, c’est pour vous surtout que j’écris ce livre. Aussi, à côté de ces souvenirs où j’ai montré quelques traits de ce qu’il y a de bon et d’honnête dans les armées, mais où j’ai détaillé quelques-unes des petitesses pénibles de cette vie, je veux placer les souvenirs qui peuvent relever nos fronts par la recherche et la considération de ses grandeurs.

« La Grandeur guerrière, ou la beauté de la vie des armes, me semble être de deux sortes. Il y a celle du commandement et celle de l’obéissance. L’une tout extérieure, active, brillante, fière, égoïste, capricieuse, sera, de jour en jour, plus rare et moins désirée, à mesure que la civilisation deviendra plus pacifique ; l’autre tout intérieure, passive, obscure, modeste, dévouée, persévérante, sera chaque jour plus honorée, car aujourd’hui que dépérit l’esprit des conquêtes, tout ce qu’un caractère élevé peut apporter de grand dans le métier des armes, me paraît être moins encore dans la gloire de combattre, que dans l’honneur de souffrir en silence et d’accomplir, avec constance, des devoirs souvent odieux.

« Si le mois de juillet 1830 eut ses héros, il eut en vous ses martyrs, ô mes braves compagnons ! — Vous voilà tous à présent séparés et dispersés. Beaucoup parmi vous se sont retirés en silence, après l’orage, sous le toit de leur famille ; quelque pauvre qu’il fût, beaucoup l’ont préféré à l’ombre d’un autre drapeau que le leur. D’autres ont voulu chercher leurs fleurs de lis dans les bruyères de la Vendée, et les ont encore une fois arrosées de leur sang ; d’autres sont allés mourir pour des rois étrangers ; d’autres, encore saignans des blessures des trois jours, n’ont point résisté aux tentations de l’épée. Ils l’ont reprise pour la France, et lui ont encore conquis des citadelles. Partout même habitude de se donner corps et âme, même besoin de se dévouer, même désir de porter et d’exercer quelque part l’art de bien souffrir et de bien mourir. Mais partout se sont trouvés à plaindre ceux qui n’ont pas eu à combattre là où ils se trouvaient jetés. Le combat est la vie de l’armée. Où il commence, le rêve devient réalité, la science devient gloire, et la Servitude service. La guerre console par son éclat des peines inouies que la léthargie de la paix cause aux esclaves de l’armée ; mais, je le répète, ce n’est pas dans les combats que sont ses plus pures grandeurs. Je parlerai de vous souvent aux autres, mais je veux une fois, avant de fermer ce livre, vous parler de vous-mêmes et d’une vie et d’une mort qui eurent à mes yeux un grand caractère de force et de candeur. »