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hâté si imprudemment et si loyalement à la fois, de se dessiner à la tribune contre la proposition de M. Humann, qui a déclaré avec tant de franchise que le cabinet qu’il préside est formellement opposé à la mesure et décidé à ne pas prendre d’engagement à cet égard pour l’avenir, qui a rendu toute transaction impossible, et qui, non content d’avoir parlé à cœur ouvert et sans restriction, a terminé par ce mot qui restera : Est-ce clair ? M. de Broglie s’est déjà vu plusieurs fois sur le point de signer sa démission. De son côté, M. Guizot, qui n’a rien dit, qui semble même avoir posé quelques réserves dans le Moniteur du Commerce, où la réduction des rentes a été approuvée chaleureusement, M. Guizot ne survivrait pas cependant au suicide politique de M. de Broglie. L’adoption de la proposition de M. Gouin entraînerait toute cette partie du cabinet, c’est-à-dire le cabinet tout entier, dont M. de Broglie et M. Guizot sont le gouvernail et la pensée. Ce serait à la fois la réduction de la rente et la réduction du ministère que la défection et la retraite de M. Humann auraient entraînées.

Dans cet état de choses, le ministère resterait à M. Thiers, qui le recomposerait à son gré, et qui arriverait ainsi, plus tôt qu’il ne le pensait lui-même, à la réalisation de ses plus chers projets. M. Thiers serait président du conseil, ou chef du cabinet sous une présidence factice. Il deviendrait véritablement ministre, ce qu’il n’est pas aujourd’hui. Du fond du ministère de l’intérieur où ses collègues actuels se plaisent à le voir occupé de bahuts et de tableaux, ou absorbé par quelques grandes combinaisons industrielles, encore fort ténébreuses, M. Thiers, débarrassé une bonne fois de ses deux pédagogues, affranchi de la tutelle politique sous laquelle il se cabre chaque jour, gouvernerait enfin à sa guise. Et dans quel moment viendrait cette divine et bienheureuse toute-puissance à M. Thiers, et à ses industrieux et habiles amis ? Au début d’une ère nouvelle d’agiotage et d’un immense mouvement de fonds créé par la nouvelle loi des rentes, lorsque cette révolution financière se trouvera encore activée par l’effet du mouvement imprimé au crédit, grace à la réalisation de tous les projets de chemins de fer, dont les études ont été alimentées par les 500,000 francs de crédit accordés, il y a trois ans, à M. Thiers, à cet effet. Il ne s’agit plus ici de quelques misérables constructions de bois et de toile peinte, d’un vaisseau de juillet, de barraques, et d’arcs de triomphe provisoires ; on peut voir déjà toute cette foule d’agioteurs et d’entrepreneurs de toute espèce, qui assistent au lever du ministre de l’intérieur, et dont la présence a été révélée publiquement par maint scandale judiciaire, se presser plus étroitement que jamais autour du maître futur du cabinet, et dévorer de l’œil toutes ces gigantesques affaires, tous ces larges gains