Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/199

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
195
LES COLONIES À SUCRE ET LA PRODUCTION INDIGÈNE.

au profit de l’agriculture d’une seule province de la métropole. Les notes commerciales de Bordeaux indiquent la sortie, en 1835, de 58,632 barils de farine pour la Martinique et la Guadeloupe, et concordent à peu près avec les relevés officiels de la douane, portés au Moniteur pour 49,527 quintaux métriques. La majeure partie des menus grains exportés de France a reçu également la destination de nos colonies, seuls pays qui soient forcés de s’adresser à nous pour les céréales. Cette consommation a été beaucoup plus considérable tant que nos établissemens ont conservé quelque lueur de prospérité ; mais qui peut résister à l’obligation d’acheter cher et de vendre bon marché ?

Heureuses de revenir sous la domination de la mère-patrie, les colonies, lors de la restauration, n’avaient pas à stipuler avec la métropole à laquelle des liens si intimes les attachaient. Elles sont donc rentrées naturellement dans le régime qui existait avant la révolution, et se sont trouvées en dehors du commerce général du monde sans prendre garde aux développemens que ce commerce allait recevoir. Elles n’ont pas même réclamé quand on a taxé à 49 fr. 50 c. leur sucre, que la loi de 1791 n’imposait qu’à 4 fr. 28 c. Les colons ne pouvaient comprendre qu’ils allaient passer sous le joug du funeste système prohibitif créé pour la France par la loi du 10 brumaire an v, et si soigneusement conservé par tous les gouvernemens qui se sont succédé. Au lieu de demander un relâchement, profitable à tous, des liens réciproques dans lesquels ils étaient engagés avec la métropole, ils dirigèrent tous leurs efforts et leurs réclamations contre l’introduction en France du sucre étranger. Ils n’eurent pas de contradicteurs, tant l’intelligence était peu avancée ; on leur accorda des surtaxes et des primes qui ne pouvaient pour longtemps remédier à leur malaise, et dont les abus se font aujourd’hui si vivement sentir.

On ne saurait cependant, sans injustice, reprocher aux colons les mesures qu’ils provoquaient. Ils sentaient le poids de leur situation, mais le pouvoir législatif n’était pas en leurs mains, et ce qu’on leur a accordé, ou pour mieux dire ce qu’on a stipulé pour eux, a eu pour résultat final de développer les causes qui font l’embarras actuel. Au lieu de diminuer le prix de la production des colonies par l’ouverture de leurs ports aux articles de consommation de l’étranger, on a rigoureusement maintenu la prohibition, et forcé l’élévation du prix par les surtaxes d’un côté, et de l’autre par les primes affectées aux produits des raffineries. C’est ainsi que l’on est arrivé à amener dans la discussion un élément nouveau, vu avec intérêt par l’agriculture française, mais qui met en question à la fois l’existence des colonies, le commerce et la navigation des ports, le débouché assuré à notre production territoriale et industrielle, et enfin