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LES NUITS FLORENTINES.

sent alors des regards si supplians, notre propre cœur intercède si puissamment pour eux !… Je ne pus me dégager, et devins amoureux de la petite Véry sept ans après sa mort. Je vécus pendant six mois de cette vie à Potsdam, entièrement enfermé dans cet amour. J’évitai plus soigneusement encore qu’auparavant le contact du monde extérieur, et si quelqu’un venait à me frôler en passant dans la rue, je ressentais l’angoisse la plus pénible. J’avais, contre toute rencontre de cette nature, la même horreur qu’éprouvent peut-être, en pareil cas, les morts dans leurs promenades nocturnes ; car on dit que les vivans effraient les esprits qu’ils rencontrent, autant qu’ils sont effrayés eux-mêmes à la vue des spectres. Le hasard voulut qu’alors passât à Potsdam un voyageur que je ne pouvais éviter, c’était mon frère. À son aspect, et pendant ses récits des derniers évènemens de l’histoire contemporaine, je me réveillai comme d’un songe profond, et reconnus avec un soudain effroi l’horrible isolement dans lequel je m’étais perdu. Tel était cet état, que je n’avais fait aucune attention au changement des saisons, et je remarquai avec surprise que les arbres, effeuillés depuis longtemps, étaient couverts du givre d’automne. Je quittai aussitôt Potsdam et la petite Véry, que je ne revis plus depuis, et dans une autre ville où des affaires importantes m’appelèrent, des relations et des circonstances très dures m’eurent bientôt repoussé dans la grossière réalité.

Dieu du ciel ! continua Maximilien, pendant qu’un triste sourire fronçait douloureusement sa lèvre supérieure. Dieu du ciel ! combien les femmes vivantes avec lesquelles j’eus alors des relations inévitables, ne m’ont-elles pas tourmenté, tendrement martyrisé avec leurs bouderies, leurs manies jalouses et leur système de me tenir sans cesse en haleine ! Que de bals me fallut-il courir avec elles ! À combien de commérages ai-je dû me mêler ! Quelle pétulante vanité, quel bonheur dans le mensonge, quels baisers traîtres, quelles fleurs empoisonnées ! Ces dames finirent par me faire prendre l’amour en haine, et pendant quelque temps, je devins ennemi des femmes au point de maudire le sexe en masse. Je me trouvai dans un état analogue à celui de cet officier français, qui, dans la campagne de Russie, échappé aux glaces de la Bérésina, en avait rapporté une telle aversion contre toute espèce de gelée, que plus tard il repoussait avec terreur même les sorbets les plus