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moins grand qu’il n’était autrefois, puisqu’il est plus douloureusement senti. Sans doute, la population des états du nord paraît entraînée aussi dans une odieuse complicité pour le maintien de l’esclavage ; mais si elle soutient les planteurs du sud en sens inverse de ses exemples et de son véritable instinct, c’est qu’elle croit que le pacte fédéral dépend encore de ce pénible engagement. Son tort est de ne pas défendre un grand principe d’humanité avec les mêmes ménagemens qu’elle met à sauver le principe, en apparence opposé, de l’unité nationale ou de l’association des états sous un gouvernement commun. En admettant, ce qui est fort inexact, qu’elle obéisse seulement à des intérêts mercantiles, ces intérêts ne sont-ils pas essentiellement variables, et la nécessité de prendre un parti n’amènera-t-elle point un état de choses où ils se trouveront conformes à la justice ? Depuis quand les grandes améliorations de ce monde se réalisent-elles d’emblée et sans résistance ?

Quelle honte ! dites-vous, des démocrates possesseurs d’esclaves !… Eh ! messieurs, nous sommes assurément bien supérieurs à des démocrates, nous qui avons, pour l’affranchissement de quelques milliers de noirs, tous les moyens d’exécution qui manquent à l’Amérique. Il serait temps d’être plus modestes ou de prouver notre supériorité autrement que par de sublimes invectives.

En Amérique, dans les états dominés par les passions des planteurs, si l’on ne se tait pas sur la servitude, l’on brave à ses risques et périls d’infâmes outrages. En France, nous n’avons sur ces questions qu’une vaniteuse indignation politique ou littéraire, une philanthropie facile et au besoin d’agréables plaisanteries. De quel côté est le progrès ?

Les détracteurs de la démocratie des États-Unis ressemblent un peu à ces esprits forts qui veulent toujours imposer aux âmes dévotes des vertus surhumaines, oubliant que d’ordinaire ils prennent cette dévotion en grande pitié. Quoi ! vous prétendez que 2.500.000 noirs soient émancipés immédiatement, et l’Europe a mis douze à treize siècles pour affranchir ses serfs de couleur blanche. Une si vive impatience renferme un aveu implicite et fort exagéré de la prétendue supériorité américaine. Il est vrai qu’on en conclut sans transition la plus profonde infériorité.

Quelle chimère est-ce donc ? quelle nouveauté, quel chaos, quel sujet de contradiction ? gloire et rebut de l’univers, s’il se vante, je l’abaisse, s’il s’abaisse, je le vante, et le contredis toujours, jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il est un monstre incompréhensible.

On dirait que cette apostrophe de Pascal à la nature humaine a été faite pour l’Amérique. Hélas ! on a raison si l’on veut n’y voir que des hommes. Il serait plus sage cependant de n’imaginer ni monstres, ni merveilles, mais tout simplement d’étudier une nation qui semble avoir pour emploi préalable d’étendre sur la cinquième partie du globe deux cents