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tion et de triomphe, un ouvrier en bois, appelé Modestus, lui dit : « Misérable ! qui complotes avec tant d’acharnement contre ton évêque, ne ferais-tu pas mieux de lui demander pardon et de tâcher d’obtenir ta grace[1] ? » À ces mots, Rikulf, désignant de la main l’homme qui les lui adressait, cria en langue tudesque à ses gardes qui n’avaient pas bien compris l’apostrophe du Romain ou qui s’en étaient peu souciés : « En voilà un qui me conseille le silence pour que je n’aide pas à découvrir la vérité. Voilà un ennemi de la reine qui veut empêcher qu’on n’informe contre ceux qui l’ont accusée[2]. » L’artisan romain fut saisi dans la foule et emmené par les soldats, qui allèrent aussitôt rendre compte à la reine Fredegonde de la scène qui venait d’avoir lieu, et lui demander ce qui il fallait faire de cet homme.

Fredegonde, importunée peut-être par les nouvelles qu’on lui apportait chaque jour de ce qui se disait par la ville, eut un mouvement d’impatience qui la fit rentrer dans son caractère, et se départir de la mansuétude qu’elle avait observée jusque-là. Par ses ordres, le malheureux ouvrier fut soumis à la peine du fouet, puis on lui infligea d’autres tortures, et enfin on le mit en prison avec les fers aux pieds et aux mains[3]. Modestus était un de ces hommes, peu rares alors, qui joignaient à une foi sans bornes une imagination extatique. Persuadé qu’il souffrait pour la cause de la justice, il ne douta pas un instant que la toute-puissance divine n’intervînt pour le délivrer. Vers minuit, deux soldats qui le gardaient s’endormirent, et aussitôt il se mit à prier de toute la ferveur de son ame, demandant à Dieu de le visiter dans son malheur par la présence auprès de lui des saints évêques Martin et Médard[4]. Sa prière fut suivie d’un de

  1. Modestus quidam faber lignarius ait ad eum : O infelix qui contra episcopum tuum tam contumaciter ista meditaris ! satius tibi erat silere… (Greg. Turon. Hist. lib. v, pag. 263.)
  2. Ad hæc ille clamare cœpit voce magna, ac dicere : En ipsum, qui mihi silentium indicit, ne prosequar veritatem : en reginæ inimicum, qui causam criminis ejus non sinit inquiri. (Ibid.)
  3. Nuntiantur protinùs hæc reginæ. Adprehenditur Modestus, torquetur, flagellatur, et in vincula compactus custodiæ deputatur. (Ibid.)
  4. Cùmque inter duos custodes catenis et in cippo teneretur vinctus, media nocte dormientibus custodibus, orationem fudit ad Dominum, ut dignaretur ejus potentia