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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

Détournant de plus en plus sa pensée des hommes et des choses de ce siècle de violence et de brutalité, elle vit approcher avec terreur l’âge nubile et le moment d’appartenir comme femme au roi dont elle était la captive. Quand l’ordre fut donné de la faire venir à la résidence royale pour la célébration du mariage, entraînée par un instinct de répugnance invincible, elle prit la fuite ; mais on l’atteignit, on la ramena, et malgré elle épousée à Soissons, elle devint reine, ou plutôt l’une des reines des Franks neustriens ; car Chlother, fidèle aux mœurs de la vieille Germanie, ne se contentait pas d’une seule épouse, quoiqu’il eût aussi des concubines[1]. D’inexprimables dégoûts, que ne pouvait atténuer, pour une ame comme celle de Radegonde, l’attrait de la puissance et des richesses, suivirent cette union forcée du roi barbare avec la femme qu’éloignaient de lui, sans retour possible, toutes les perfections morales que lui-même s’était réjoui de trouver en elle, et qu’il lui avait fait donner.

Pour se dérober, en partie du moins, aux devoirs de sa condition, qui lui pesaient comme une chaîne, Radegonde s’en imposait d’autres plus rigoureux en apparence : elle consacrait tous ses loisirs à des œuvres de charité ou d’austérité chrétienne ; elle se dévouait personnellement au service des pauvres et des malades. La maison royale d’Aties où elle avait été élevée et qu’elle avait reçue en présent de noces, devint un hospice pour les femmes indigentes. L’un des passe-temps de la reine était de s’y rendre, non pour de simples visites, mais pour remplir l’office d’infirmière dans ses détails les plus rebutans[2]. Les fêtes de la cour de Neustrie, les ban-

    tom. iii, pag. 84.) — Frequenter loquens cum parvulis, si conferret sors temporis, martyr fieri cupiens. (Vita S. Radegundis, auctore Fortunato, ibid. pag. 68.)

  1. Quam cùm præparatis expensis Victuriaci voluisset rex prædictus accipere, per Betarcham ab Atteias nocte cum paucis elapsa est. Deindè Suessionis cùm eam direxisset, ut reginam erigeret… (Script. rerum francic. tom.  iii, pag. 456.) Les probabilités de cette union polygame sont une grande cause de tourment pour les écrivains modernes qui se sont occupés des actes de sainte Radegonde. Le père Mabillon remarque la difficulté en désespérant de la résoudre : locus sanè lubricus ac difficilis. (Annales Benedictini, tom.  i, pag. 124.)
  2. Sic devota femina, nata et nupta regina, palatii domina, pauperibus serviebat ancilla. (Vita S. Radegundis, auctore Fortunato, apud Acta sanctorum Augusti, tom.  iii, pag. 68.) — Atteias domum instruit, quo lectis cultè compositis, con-