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tions : il revendiquait ses droits d’époux en attestant la loi de ses ancêtres, et menaçait d’aller lui-même saisir de force et ramener la fugitive. Frappée de terreur quand le bruit public ou les lettres de ses amis lui apportaient de pareilles nouvelles, Radegonde se livrait alors à un redoublement d’austérités, au jeûne, aux veilles, aux macérations par le cilice, dans l’espoir tout à la fois d’obtenir l’assistance d’en haut, et de perdre ce qu’elle avait de charmes pour l’homme qui la poursuivait de son amour[1]. Afin d’augmenter la distance qui la séparait de lui, elle passa de Tours à Poitiers, et de l’asile de saint Martin dans l’asile non moins révéré de saint Hilaire. Le roi pourtant ne se découragea pas, et une fois il vint jusqu’à Tours sous un faux prétexte de dévotion ; mais les remontrances énergiques de saint Germain, l’illustre évêque de Paris, l’empêchèrent d’aller plus loin[2]. Enlacé, pour ainsi dire, par cette puissance morale contre laquelle venait se briser la volonté fougueuse des rois barbares, il consentit de guerre lasse à ce que la fille des rois thuringiens fondât à Poitiers un monastère de femmes, d’après l’exemple donné dans la ville d’Arles par une noble Romaine, Cœsaria, sœur de l’évêque Cœsarius ou saint Césaire[3].

Tout ce que Radegonde avait reçu de son mari, selon la coutume germanique, en dot et en présent du matin, fut consacré par elle à l’établissement de la congrégation qui devait lui rendre une famille de choix, à la place de celle qu’elle avait perdue par les désastres de la conquête et la tyrannie soupçonneuse des vainqueurs de son pays. Sur un terrain qu’elle possédait aux portes de la ville de Poitiers, elle fit creuser les fondemens du nouveau monastère,

  1. Cùm in villa ipsa adhùc esset, fit sonus quasi eam rex iterum vellet accipere… hæc audiens beatissima nimio terrore perterrita, se amplius cruciandam tradidit cilicio asperrimo, ac tenero corpori aptavit. (Acta sanctorum Augusti, tom.  iii, pag. 76.)
  2. Sicut enim jam per internuntios cognoverat quod timebat, præcelsus rex Chotharius cum filio suo præcellentissimo Sigiberto Turones advenit, quasi devotionis causa, quò faciliùs Pictavis accederet, ut suam reginam acciperet. (Ibid.) Vita S. Radegundis, lib. ii, auctore Baudonivia.)
  3. Tunc rex timens Dei judicium, quia regina magis Dei voluntatem fecerat quàm suam. (Ibid.) — Pictavis, inspirante et cooperante Deo, monasterium sibi per ordinationem præcelsi regis Chlotharii construxit. (Ibid.) — Script. rerum francic. tom.  ii, pag. 356, 57 et 59.)