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criait alors le poète, avec un accent passionné qu’on aurait pu croire profane ; et, quand venaient le jour de Pâques et la fin de cette longue absence, mêlant des semblans de madrigal aux graves pensées de la foi chrétienne, il disait à Radegonde : « Tu avais emporté ma joie ; voici qu’elle me revient avec toi ; tu me fais doublement célébrer ce jour solennel[1]. »

Au bonheur d’une tranquillité unique dans ce siècle, l’émigré italien joignait celui d’une gloire qui ne l’était pas moins, et même il pouvait se faire illusion sur la durée de cette littérature expirante dont il fut le dernier représentant. Les Barbares l’admiraient sur parole et faisaient de leur mieux pour se plaire à ses jeux d’esprit[2]. Ses plus minces opuscules, des billets écrits debout pendant que le porteur attendait, de simples dystiques improvisés à table, couraient de main en main, lus, copiés, appris par cœur. Ses poèmes religieux et ses pièces de vers adressées aux rois étaient un objet d’attente publique[3]. À son arrivée en Gaule, il avait célébré en style païen les noces de Sighebert et de Brunehilde, et en style chrétien la conversion de Brunehilde arienne à la foi catholique[4]. Le caractère guerrier de Sighebert, vainqueur des nations d’Outre-Rhin, fut le premier thème de ses flatteries poétiques ; plus tard, établi à Poitiers dans le royaume de Haribert, il fit en l’honneur de ce

  1. Quò sine me mea lux oculis errantibus abdit,
    Nec patitur visu se reserare meo
     ?…

    (Fortunati lib. xi, carm.2.)

    Abstuleras tecum, revocas mea gaudia tecum,
    Paschalemque facis bis celebrare diem
    .

    (Ibid., lib. viii, carm. 14.)

  2. Ubi mihi tantumdem valebat raucum gemere quod cantare, apud quos nihil dispar erat aut stridor anseris aut canor oloris ; sola sæpe bombicans, barbaros leudos harpa relidebat… quo residentes auditores, inter acernea pocula lautè bibentes insana, Baccho judice, debaccharent. (Fortunati lib. i, Proæmium ad Gregorium episc. Turonens., pag. 2.)
  3. Hic B. Martini vitam, quatuor in libris heroico in versu contexuit, et multa alia, maximèque hymnos singularum festivitatum, et præcipuè ad singulos amicos versiculos, nulli poetarum secundus, suavi et diserto sermone composuit. (Paulus diaconus, apud Fortunati vitam, pag. lxi.)
  4. Fortunati, lib. vi, carm. 2 et 3. — Voyez la première de ces Lettres.