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POÈTES ÉPIQUES.

abandonné à lui seul. Que l’on compare tous les chants reconnus pour émaner directement de l’inspiration du peuple, et que l’on dise si l’on trouve dans un seul le caractère achevé de cette poésie homérique. Dans lesquels découvrira-t-on rien qui ressemble à cette plénitude de diction, à ce nombre, à ce tempérament majestueux, et il faut le reconnaître aussi, à cette réflexion assidue ? Les irrégularités et les licences du rhythme, les vers faux, si fréquens qu’on veuille les supposer, ne feront jamais que cet hexamètre olympien appartienne dans l’art à une condition pleinement analogue, par exemple, aux redondillas des romances espagnoles, ou aux chants serbes ou bohêmes. Le vers d’Homère est né de l’inspiration populaire ; il en conserve les formes et quelques habitudes, mais il porte déjà la couronne et le sceau d’un art cultivé. Il est sorti de la foule ; on reconnaît le roi à sa démarche royale.

Non-seulement Homère appartient à la poésie cultivée, il suppose encore une tradition d’art fort antérieure à lui. Les poètes qui l’ont devancé resteront éternellement inconnus. Rien ne soulèvera le voile qui couvre leur mémoire ; mais il y en eut parmi eux, sans doute, de grands et de puissans. C’est lui qui s’empara de leurs chants isolés, et qui fit réellement la tâche que l’on veut attribuer à Pisistrate. Seulement il ne recueillit pas ces rhapsodies pour les coudre au hasard ; il absorba dans son œuvre les gloires passées, et c’est là sa grandeur. Plusieurs noms sont contenus dans le sien, qui en doute ? Ce sont les noms des hommes dont il a, sans le vouloir, usurpé la mémoire. Ainsi, le poète persan, Ferdoussi a résumé les traditions qui l’ont précédé. Ainsi, Arioste, en les altérant, a résumé les œuvres des trouvères de Charlemagne et de la Table Ronde. Deux ou trois noms ont échappé. Thamyris peut avoir été pour Homère ce que Boiardo a été pour Arioste.

L’Iliade et l’Odyssée ne marquent pas le commencement de la vie du peuple grec. Ces poèmes sont bien plutôt, suivant un des caractères de l’épopée, le testament d’une époque passée, et le moment qui clôt une antiquité oubliée. Ils sont placés sur la limite d’un monde qui finit et d’un monde qui commence. Celui qui périt est le régime du sacerdoce et des rois ; celui qui va naître est le monde de l’aristocratie et de la démocratie ; Sparte et Athènes vont remplacer Mycènes. Le long travail des élémens qui ont formé le caractère grec est déjà achevé dès leur début. Avant eux est la