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LA BELGIQUE.

contraires, également attirés par deux centres de gravité, les Pays-Bas restèrent sans cohésion, alors que la nature semblait les destiner à former une unité imposante.

Pendant qu’en France l’activité sociale se concentrait graduellement au centre de l’état, en Belgique elle s’éparpillait à la circonférence, et ses manifestations, pour être infécondes, n’en étaient pas moins éclatantes. Sur cette terre de franchises en même temps que de chevalerie, le noble et le bourgeois grandirent côte à côte, sans qu’un troisième pouvoir s’élevât au-dessus d’eux pour établir l’harmonie, en fondant sur cet antagonisme l’unité politique. Au dehors, deux suzerainetés ennemies ; au dedans, des maisons princières et de grandes communes sans royauté ; c’est-à-dire des forces hostiles sans modérateur et sans contrepoids : telle fut la double cause devant laquelle avortèrent les destinées promises à ce beau pays.

Le nom des comtes de Flandre et de Hainaut, de Luxembourg, de Bouillon, de Namur et de Gueldres, des ducs de Brabant et de Zélande, brillent dans les annales du moyen-âge, à l’égal de ceux d’aucun autre paladin ; mais leur sang est stérile, comme leur gloire, et leurs maisons s’éteignent bientôt dans la souveraineté de cette maison de Bourgogne, qui ne sut pas non plus se nationaliser.

On voit, aux croisades, les guerriers flamands, supérieurs en civilisation, en richesse, à presque tous ceux de la chrétienté, prendre leur part de ces grands combats et de cette vie d’aventures, sans que l’influence politique de ces évènemens, si importante dans les autres états de l’Europe, soit très sensible aux bords de l’Escaut et de la Meuse. Godefroy et Eustache de Bouillon, Engelbert de Tournay, Robert de Flandre, dit l’Épée des Chrétiens, s’élancent les premiers sur les bastions de Solyme ; un prince belge, avoué du saint Sépulcre, refuse de ceindre sa tête d’une couronne d’or là où le Sauveur du monde avait porté la couronne d’épines ; et, par une faveur qu’il reçut entre tous les héros chrétiens, ce roi sans diadème, avec Baudouin son frère et son successeur, attend le jour de la résurrection au pied du seul monument

Qui n’aura rien à rendre au dernier jugement !

Un autre Baudouin conquiert en passant le trône de Constantinople, pendant qu’une poignée de chevaliers flamands arrache aux Sarrasins le royaume de Portugal pour le donner au premier des Alphonse. Gui de Namur suit saint Louis aux ruines de Carthage ; et à la bataille de Nicopolis, dernière lueur du feu des croisades, dernier soupir de la chevalerie, nombre de guerriers flamands périssent sous le cimeterre des Turcs avec