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REVUE DES DEUX MONDES.

tentissement de la tradition antique de Héro et de Léandre, mais il ne faudrait y chercher ni la grace du poème de Musée, ni les brillantes couleurs de celui de Marlowe. En passant dans le Nord, elle s’est dépouillée de ses draperies grecques ; en se popularisant, elle est redescendue au niveau de la tradition vulgaire. L’autre ballade, intitulée l’Enlèvement, représente en même temps, sous des images grossières, d’un côté cette contrainte d’amour, de l’autre cet esprit de vengeance que j’ai cherché à indiquer.

LES DEUX ENFANS DE ROI.

« Il y avait deux enfans de roi qui s’aimaient tendrement ; mais ils ne pouvaient se voir, car ils étaient séparés l’un de l’autre par un fleuve profond.

« Un soir, la jeune fille pose trois lumières au bord de l’eau, afin de guider son bien-aimé.

« Mais une vieille femme, une vieille femme méchante, éteint ces trois lumières, et le fils du roi se noie.

— Oh ! ma mère, s’écria la jeune fille ; ma bonne mère, la tête me fait si mal ! Ne pourrais-je m’en aller un instant au bord de l’eau ?

— Mon enfant, vous ne pouvez aller toute seule ; appelez votre jeune sœur et dites-lui de vous accompagner.

— Ma jeune sœur est un petit enfant. Elle cueille toutes les fleurs qu’elle trouve le long de son chemin, et ne laisse que les feuilles. Le monde dit : Voilà ce que font les filles du roi.

« La mère s’en va à l’église. La jeune fille sort, et marche au bord de l’eau jusqu’à ce qu’elle trouve le pêcheur de son père.

— Ô pêcheur, s’écrie-t-elle, mon bon pêcheur ! veux-tu jeter tes filets dans la rivière ? Je te récompenserai.

« Il jette ses filets dans la rivière, les laisse couler au fond et ramène le fils du roi.

« La jeune princesse tire de son doigt un anneau d’or, et le donne au pêcheur : — Tiens, dit-elle, voilà pour ta peine.

« Puis, elle prend son amant dans ses bras et lui donne un baiser sur les lèvres : Ô ma jolie bouche, dit-elle, que ne peux-tu parler ! Ô mon pauvre cœur, que ne peux-tu battre encore !

« Elle prend son amant dans ses bras et se jette dans l’eau : — Adieu ! mon père et ma mère, vous ne me reverrez plus.

« Adieu ! mon père et ma mère, et vous tous qui m’aimez. Adieu ! mon frère et ma sœur, je m’en vais dans le royaume du ciel. »

L’ENLÈVEMENT.

« Si toutes les montagnes étaient d’or, si tous les fleuves étaient changés en vin, je vous aimerais encore mieux que les fleuves et les montagnes.