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à mon oreille quelques douces paroles de regret et de pitié. Non, je ne rougis pas de la vôtre, ô mes amis ! et de la tienne surtout, vieux débris qui as surnagé sur les orages de la vie, et qui en connais les soucis rongeurs et les fatigues accablantes. Je suis un malade qu’il faut plaindre et non contrarier. Si vous ne me guérissez pas, du moins vous me rendrez la souffrance moins rude et la mort moins laide. Me préserve le ciel de mépriser votre amitié, et de la compter pour peu de chose ! Mais sais-tu quels maux contrebalancent ces biens-là ? Sais-tu ce que certains bonheurs ont inspiré d’exigences à mon ame ? ce que certains malheurs lui ont imposé de méfiance et de découragemens ? Et puis vous êtes forts, vous autres. Moi, j’ai de l’énergie et non de la force. Tu dis que l’instinct me retiendra auprès de mes enfans ; tu as raison, peut-être ; c’est le mot le plus vrai que j’aie entendu. Cet instinct, je le sens si profondément, que je l’ai maudit comme une chaîne indestructible : souvent aussi, je l’ai béni en pressant sur mon cœur ces deux petites créatures, innocentes de tous mes maux. Écris-moi souvent, mon ami ; sois délicat et ingénieux à me dire ce qui peut me faire du bien, à m’éviter les leçons trop dures. Hélas ! mon propre esprit est plus sévère que tu ne le serais ; et c’est sa rude clairvoyance qui me pousse au désespoir. Que ton cœur, qui est bon et grand, quoi qu’on en dise et quoi qu’on en pense, t’inspire l’art de me guérir. Je suis venue chercher ici ce qui me fuyait ailleurs. Les pédagogues abondent partout ; l’amitié est rare et prudente ; elle se tire bien mieux d’affaire avec un reproche ou une raillerie, qu’avec une larme et un baiser. Oh ! que la tienne soit généreuse et douce. Répète-moi que ton affection m’a suivie partout, et qu’aux heures de découragement où je me croyais seule dans l’univers, il y avait un cœur qui priait pour moi, et qui m’envoyait son ange gardien pour me ranimer.


Mercredi soir.

Écrivons-nous tous les jours, je t’en prie ; je sens que l’amitié seule peut me sauver.

Je n’en suis pas à espérer de pouvoir vivre. Je borne pour le moment mon ambition à mourir calme, et à ne pas être forcée de blasphémer ma dernière heure, comme cet homme innocent que l’on guillottina dans notre ville il y a quatre ou cinq ans, et qui s’é-