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fond du ravin. Je suis cachée et abritée du vent comme dans une niche. Le soleil réchauffe mes pieds mouillés dans l’herbe. Je les ai posés nus sur la pierre tiède et saine, tandis que je déjeune pythagoriquement avec mon pain et l’eau du joli ruisseau qui chante sous les joncs à côté de moi.

Le sentier là-haut est maintenant couvert de villageois qui vont à la messe. J’attendrai, pour traverser les longues herbes du fond de la vallée, que le bon soleil les ait aspirées. Dans une heure j’y passerai à pied sec. La rivière s’est endormie hors de son lit. Le sentier est noyé sous une nappe d’argent. Nymphes, éveillez-vous, les faunes vont vous surprendre et s’énamourer de vous. ...

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Ah Dieu ! mes ennemis s’éveillent aussi ! Ils s’éveillent pour me haïr. Ils vont se lever pour me suivre. Ils font une prière du matin, peut-être la seule qu’ils aient faite de leur vie, et c’est pour demander ma perte. Ne les écoute pas, ô Dieu bon, ami des poètes ! Je suis sans ambition ici-bas, sans cupidité, sans mauvais désirs, tu le sais, toi qui me regardes en face par cet œil brûlant des cieux. Tu lis au fond de ma pensée, comme l’astre au fond du miroir ardent, lorsqu’il le perce de son rayon avide, et qu’il en ressort sans y avoir trouvé d’autre feu que celui dont il vient de le remplir. Bonté de là-haut, appui du faible, tu n’écoutes pas la prière de l’impie, car tout homme est impie, qui demande à Dieu la ruine et le désespoir de son semblable. Tu sais que je ne te demande les larmes de personne, et que je ne veux pas triompher pour être tyran, mais pour être libre. Ah ! termine ce combat impie, ô mon Dieu ! Mais ne permets pas que la haine et la violence triomphent de l’innocent. — Qu’ai-je fait, disait le poète exilé, pour être détesté, banni de ma patrie, chassé du toit de mes pères, calomnié, insulté, traduit devant des juges comme un criminel, menacé de châtimens honteux ? pharisiens, vous régnez toujours, et ce que Jésus écrivit du doigt sur la poussière du parvis est effacé de la mémoire des hommes !…

… C’est bien fait ! pourquoi étant poète, pourquoi étant marquée au front pour n’appartenir à rien et à personne, pour mener une vie errante, pourquoi étant destinée à la tristesse et à la liberté, me suis-je liée à la société ! Pourquoi ai-je fait alliance avec la famille humaine ? Ce n’était pas là mon lot. Dieu m’avait donné un orgueil