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les rades de Stora, d’Arzew et de Mers-el-Kebir. C’est à la science de nos marins et de nos ingénieurs de choisir, de fortifier les positions les plus avantageuses et les abris les plus sûrs pour nos vaisseaux. Déjà un ingénieur civil, M. Pezerat, a fait à Oran l’étude d’un projet de port fermé[1]. Oran peut devenir un point maritime presque inexpugnable, et déjà le mot d’Anti-Gibraltar a été prononcé.

Si la France veut être fidèle à tous les devoirs d’une ambition raisonnable, elle doit toujours égaler l’importance de sa marine à celle de son armée de terre. Cette égalité sous Louis XIV lui donna la prépondérance, et si Napoléon eût eu souvenance de cette grande tradition, cette égalité eût empêché les revers de l’empire. Non que l’empereur n’ait saisi ce point, mais il ne put prendre sur lui de l’exécuter. Les diversions continentales dévorèrent son activité, et comme il n’avait pas sous la main un bailli de Suffren, il oublia les pensées qui l’avaient occupé tant à bord de l’Orient qu’en face des Pyramides. Il a cependant écrit que la France, sans le moindre effort, peut avoir trois flottes de trente vaisseaux, comme trois armées de cent vingt mille hommes. Il a encore pensé que dans l’avenir la marine française est appelée à acquérir de la supériorité sur la marine anglaise.

La possession du littoral de l’Afrique est nécessaire, non-seulement à l’éclat, mais à la sûreté de notre empire. Nous avons besoin d’une position forte pour contrebalancer Gibraltar, canon toujours béant, toujours armé, et pour avoir dans la Méditerranée l’équivalent de Mahon, qu’un réveil et des inimitiés de l’Espagne pourraient un jour nous rendre formidable. Il importe à notre liberté et à notre commerce dans la Méditerranée de rester propriétaires d’un vaste territoire africain. Alger protège Marseille. Croit-on que les Anglais eussent incendié le port de Toulon si les flottes françaises eussent eu en Afrique d’autres rades et d’autres ports ?

Ainsi l’agriculture, la guerre et la marine, ces trois vocations de la France, s’accordent à garder l’Afrique. Maintenant, comment la garder ? par une vaste colonie, ou par une petite occupation ?

Ce serait une singulière politique pour la France, que d’occuper en Afrique deux ou trois points, d’enfermer quelques bataillons

  1. De l’Établissement des Français dans la régence d’Alger, par M. Genty de Bussy ; tom. Ier, pag. 218.