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BREST À DEUX ÉPOQUES

Le commencement du voyage fut silencieux. Le postillon, qu’à sa carmagnole et à son bonnet rouge il était facile de reconnaître pour un excellent citoyen, avait entonné la Marseillaise, et il fouettait ses deux rosses, Pitt et Cobourg, en jurant contre les ornières et traitant d’aristocrates les chemins, qui, défoncés par l’artillerie, étaient réellement détestables. Mais au bout d’une heure, il parut las de chanter et de jurer ; il se tourna sur son siége et se pencha vers moi, pour lier conversation.

— Y a-t-il long-temps que tu n’es allé à Brest, citoyen ? me dit-il.

— Cinq ans.

— Cinq ans ! oh ! bien, alors, c’était du temps du régime. Tu trouveras que la poêle à frire a un peu fait tourner l’omelette depuis. Ah ! les ci-devant ne sont pas fiers là ! il y en a huit cents au château.

— Et les exécutions sont-elles nombreuses ?

— Mais non, ça ne donne pas absolument. Prieur la Marne est un bon sans-culotte, mais un peu cagne ; ça n’a pas faim d’aristocrates. Parlez-moi de Laignelot ! c’est celui-là un lapin ! — Du pain et du fer, qui dit, voilà tout ce qu’il faut à de vrais républicains. J’étais au club quand il est arrivé pour la première fois. Il vous a dégainé son sabre, l’a mis sur la table devant lui, en guise de plume, et a dit — Citoyens, j’arrive de Rochefort où j’ai mis au pas les aristocrates, les accapareurs et les modérés ; j’amène avec moi le barbier de la république, et j’espère qu’il aura le plaisir de faire jouer un peu ici le rasoir national… Alors il a présenté au club le vengeur public.

— Le bourreau !

— Quoi donc ! tout le monde a donné l’accolade fraternelle au citoyen, et, pour prouver qu’on avait des principes solides, on l’a nommé tout de suite président du club, comme pour dire aux aristocrates qu’il était temps de tirer leurs cravattes[1].

— Et les exécutions ont commencé alors ?

— Un peu : mais ça n’a pas duré, parce que Laignelot est parti, et que Jean-Bon-Saint-André s’en est allé avec l’escadre. Il faut espérer qu’ils recommenceront à leur retour. Nous avons bien besoin de ça, ma foi, car les affaires ne vont guère. Il n’y a plus de voya-

  1. Historique.