Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/711

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
707
BREST À DEUX ÉPOQUES

incertitudes d’une administration nouvelle, reconstruite avec les ruines d’une autre ; enfin, les difficultés générales de notre situation actuelle. Au moment où je vous parle, Brest manque de tout. L’approvisionnement des flottes et le passage des troupes ont épuisé le pays ; le maximum a éloigné les paysans des marchés. Ils ont caché leurs grains, disséminé leurs bestiaux dans les campagnes, et l’on ne peut plus s’approvisionner que par voie de réquisition et le sabre à la main. Le blé est maintenant si rare, que, si l’on vous invite à dîner chez un ami, on vous priera d’apporter votre pain. Les boutiques de tout genre sont vides et fermées ; on ne trouve plus à acheter ni draps ni soieries : vous verrez les deux tiers de cette population qui vit au milieu des brumes et des tempêtes, en habit de nankin, en culottes de nankin, en casquettes et en gilets de nankin. C’est la seule étoffe que l’on puisse se procurer dans la ville, encore la doit-on à deux prises anglaises faites il y a peu de temps. La république n’a point payé les équipages de son escadre depuis cinq mois, et vous rencontrerez des capitaines de vaisseau en guenilles, lavant eux-mêmes leur linge sale à la pompe, avec de grosses épaulettes et l’épée au côté. Au milieu de cette disette de tous, quelques chefs, qui disposent des ressources du port et qui sont chargés des approvisionnemens, nagent dans l’abondance et emploient trois cuisiniers. Quant aux représentans du peuple, ils ne font aucun effort pour changer l’état des choses. Ils se contentent de prêcher contre le fanatisme dans les clubs ; ils célèbrent, de temps en temps, une fête en l’honneur de l’Être suprême, font déporter des prêtres, guillotinent des femmes, des vieillards ; et, quand on se plaint trop haut, ils vous envoient, comme fédéralistes, dans les prisons du château, d’où l’on ne sort plus que pour monter sur la charrette du bourreau.

— À quoi nous aura donc servi la révolution, si nous lui devons l’appauvrissement de nos forces, le gaspillage de nos ressources, la destruction de notre liberté et de notre repos ?

— N’accusez pas la révolution, répliqua vivement mon compagnon ; elle n’a fait que recueillir ce qu’on avait semé. Tous les malheurs qui nous frappent sont la suite nécessaire du régime qui vient de finir ; c’est l’arrière-goût de la monarchie qui a disparu. Notre pauvreté est la conséquence des prodigalités précédentes ; l’ignorance de nos officiers de marine est le résultat de l’organisation