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térature actuelle un procès criminel dans de tels termes, qu’il est impossible aux gens d’humble sens et de goût, dont notre pays n’a pas jusqu’ici manqué, de taire l’impression qu’ils reçoivent de semblables diatribes importées de l’étranger, lorsque toutes les distinctions à faire, toutes les proportions à noter entre les talens et les œuvres, sont bouleversées et confondues dans un flot d’injures que l’encre du traducteur épaissit encore.

C’est une question sur laquelle il y a lieu au moins de douter que celle de la compétence des étrangers à juger une littérature tout-à-fait contemporaine, surtout quand cette littérature est la française. À moins d’y être préparés par des voyages, par un long séjour et toutes sortes de renseignemens qui équivalent à une naturalisation, que peuvent dire ces étrangers sinon que d’approchant plus ou moins et de provisoire ? Certes, au xviiie siècle, je n’aurais pas récusé comme juges très compétens Bolingbroke, Horace Walpole, Hume ou Grimm. Mais ils connaissaient la France et la bonne compagnie d’alors, autrement que pour avoir passé six mois en Touraine, comme a fait peut-être l’auteur de l’article. Je m’en remettrais encore très volontiers à des juges comme Mackintosh, esprits sages, subtils, prompts, et bien introduits, bien pourvus dès leur début de l’indispensable cicerone. On a vu pourtant des natures d’élite plus réfractaires malgré un long séjour. M. Wil. Schlegel, cet illustre critique, a toujours été assez injuste, et, malgré les années qu’il a vécu ici, toujours assez mal informé à notre égard. Pour moi, j’oserai le dire, quant à ce qui est tout-à-fait contemporain et d’hier, et qui demande une comparaison attentive, éveillée et de détail, un étranger, quelque instruit et sensé qu’il soit, ne peut, demeurant absent, porter qu’un jugement approximatif, incomplet, relatif, et pour parler dans le style en usage sous Louis XIV, qu’un jugement grossier comme le ferait le plus reculé des provinciaux qui voudrait être au fait de la littérature de la capitale. Les plus grandes intelligences n’échappent pas à cet inconvénient. Goëthe, si sagace et si ouvert à toutes les impressions qu’il ait été, jugeait un peu de travers et d’une façon très subtile notre jeune littérature contemporaine ; il y avait manque de proportion dans ses jugemens ; ce qu’il pensait et disait là dessus au temps du Globe, pouvait être précieux pour le faire connaître, lui, mais non pour nous faire connaître, nous. Il était d’un goût incertain, équivoque en ce qui nous