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VOYAGES D’UN SOLITAIRE.

cienne, est sortie du tombeau de l’Étrurie. Ce fut une Madeleine pénitente qui gardait encore, à travers les pleurs et malgré les macérations de l’Évangile, les traits et la beauté de la Madeleine pécheresse.

Quelque trace du génie étrusque s’est perpétuée là, à travers tous les changemens des temps, des langues et des institutions. Dès le xive siècle, quand Rome chrétienne était seulement la ville du dogme, Florence était déjà la ville de l’art. C’est chez elle ou près d’elle que le développement épique de la tradition s’est accompli dans la poésie par Dante, dans l’architecture par Giotto et Brunelleschi, dans la statuaire par l’école de Pise, dans la peinture par Orcagna et Michel-Ange. Il faut remarquer que Rome, qui a donné son nom à la plus grande école, n’a produit elle-même ni poète, ni sculpteur, ni peintre. Elle n’a eu long-temps qu’un art, à savoir, le culte et le rite catholique. Ses poètes, ses statuaires, ses architectes furent ses papes. Lorsque le travail et la constitution de l’église furent achevés, alors seulement les arts séculiers arrivèrent de toutes parts, pour recevoir là, par Michel-Ange et par Raphaël, le droit de bourgeoisie dans la cité du dogme.

On répète souvent de nos jours que les époques les plus religieuses sont aussi les plus favorables à l’art : cette idée est démentie par tout ce que j’ai vu en Italie, et surtout à Florence. Tant que la foi fut profonde, les peintres, aveuglément soumis à la tradition de l’Église, laissèrent leurs œuvres dans une sorte de divine enfance. Assurément le génie religieux ne manque pas aux mosaïques byzantines ni aux peintures sur bois des vieilles écoles. Que leur manque-t-il donc ? l’art ; il ne s’émancipa qu’aux dépens de la foi. Les grands maîtres des écoles de Venise, de Florence, de Parme, de Mantoue, furent contemporains de la réforme et de la confession d’Augsbourg. Chacun d’eux soumit la tradition religieuse à l’autorité de l’imagination, comme Luther la soumit à l’autorité de la raison. À quelle distance Michel-Ange, Léonard de Vinci, Corrège, ne sont-ils pas de la croyance et de l’orthodoxie de leurs pères ! Ils changent à leur gré les types et les expressions consacrées ; ils abolissent à leur manière l’ancien rite. Ni Raphaël, ni Titien, n’approchent de leurs pinceaux avec le tremblement de cœur et la dévotion de Fra Angelico ou de Masaccio. C’est au sortir d’un banquet avec la Fornarina ou avec l’Arioste qu’ils substituent au catholicisme rigide de la tradition un catholicisme vénitien, florentin, romain, qui n’a plus rien de l’unité des vieilles fresques liturgiques. À la madone impassible des Bysantins ils prêtent les passions et les airs de tête des femmes des lagunes, de Parme ou d’Albano. Les différences, les caprices innombrables de la fantaisie humaine pénètrent pendant cet intervalle du xve et du xvie siècle, comme autant de sectes privées, dans le ciel du vieux dogme. Chacun