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ses armées, à Louvois qui les organisait, à Colbert qui préparait le nerf de la guerre : mais la cause principale de ses succès demeure enveloppée de mystère. On attribue à la force ce qui appartient à l’habileté, à la fortune ce qu’il conviendrait de rapporter à l’adresse. L’idée qui lia tous les plans politiques de ce long règne, la prévoyance qui les conçut un demi-siècle avant leur exécution et qui les poursuivit pied à pied, la souplesse qui tira parti des évènemens, la corruption qui triompha des hommes, tout cela échappe pour ne laisser saisir que des effets sans cause. On ignore jusqu’au nom de ces nombreux agens auxquels le disciple de Mazarin aimait à confier, non l’éclatant appareil, mais la réalité de la puissance politique. On dirait que le public juge le siècle des magnificences royales, à la manière de ces visiteurs d’usines, devant lesquels l’industrie fait couler à pleins bords la lave brûlante ou tisser ses toiles légères, et qui, satisfaits de ces brillantes manifestations, n’ont ni curiosité ni loisir pour s’enquérir des forces motrices et des procédés de la science.

Le xviie siècle fut l’époque de la grande diplomatie, de la diplomatie de haut style, qui unissait à la connaissance pratique des hommes la vaste science léguée par l’âge précédent. Ce fut par elle que Louis XIV, jeune encore, éleva la puissance française, et que la Hollande parvint à fonder la sienne. Guillaume III fut le premier diplomate de son temps ; et s’il finit par abaisser le roi de France, c’est que celui-ci, après avoir perdu M. de Lionne et les hommes formés par Mazarin, n’avait plus guère, pour seconder sa vieillesse, que des ministres étrangers aux traditions de Munster et des Pyrénées, manquant également d’autorité pour résister aux haines de l’Europe et aux passions de leur maître.

Toutes les entreprises de ce monarque, depuis la guerre de dévolution qui commença si glorieusement son règne jusqu’à celle de la succession d’Espagne qui le termina par des péripéties si diverses, toutes ses négociations, depuis le congrès d’Aix-la-Chapelle jusqu’à celui d’Utrecht, étaient contenues en germe et ménagées à dessein dans l’acte fameux de 1659. En en dressant les stipulations, qu’accompagnèrent des renonciations équivoques et des clauses mal définies, Mazarin s’était beaucoup plus occupé d’ouvrir des chances à l’avenir que de garantir la sécurité du présent. Mettre la France en mesure d’hériter de l’Espagne, soit en dépeçant ses posses-