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n’est pas douteux ; ils sont promis à l’Europe, ils lui appartiennent fatalement par le droit de l’intelligence ; la civilisation occidentale doit les entraîner tôt ou tard dans son irrésistible tourbillon.


Je redescendis du château par le même sentier raide et tortueux qui m’y avait conduit, et je rencontrai sur ma route plusieurs femmes chargées de lourdes cruches d’eau et de fagots secs. Elles gravissaient péniblement la côte, et quand elles étaient jeunes et jolies, elles ne manquaient jamais de me le laisser voir en soulevant un coin de leur voile. Arrivé au bas de la colline et rentré dans le cœur de la ville, je fus attiré dans une rue voisine par un grand bruit de tambour et de musette. Je pensais trouver là des Aïsaoua : c’était une noce ; les parens et amis de la mariée lui donnaient l’aubade, et comme il faut toujours du sang à ces sauvages, ils venaient d’immoler un bœuf à sa porte. Les gens de la fête trépignaient dans le sang en poussant des hurlemens de joie à faire fuir tous les Juifs à la ronde. Sans l’escorte de mon soldat nègre, qui devait répondre de moi au kaïd, je n’aurais pas été moi-même très rassuré. Encore fallut-il tourner la noce, car la rue était étroite, le bœuf immolé gisait sur le carreau, et je n’aurais pu passer sans mettre le pied dans une mare de sang. Toutes ces cérémonies sacramentelles, toutes ces allégresses de circonstances sont tarifées et se paient à beaux deniers comptans ; les formalités matrimoniales sont les plus chères. De là sans doute ce proverbe indigène que les chrétiens dissipent leur argent dans les procès, les Juifs dans les fêtes religieuses, et les Maures dans les fiançailles. Un autre usage, auquel on ne manque jamais, c’est de faire constater authentiquement la virginité de l’épouse, et même d’en donner des preuves publiques ; si le fait est douteux, le mari a le droit de renvoyer sa femme à ses parens ; le mariage est rompu.

Un peu plus loin je tombai dans un nouveau rassemblement, mais celui-là n’avait rien d’inquiétant ; je me trouvais devant la maison du kaïd, lequel donnait audience, accroupi sous son vestibule. Il y avait foule à sa porte ; chacun passait à son tour ; tous attendaient patiemment. On voit que rien n’est plus simple que les autorités marocaines : le muhtesib et le kadi siégent sous l’auvent d’une boutique, le kaïd au seuil de sa maison.

Le kaïd ou bacha (bassa), car c’est la même dignité sous un autre