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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

du siècle. Des problèmes sur lesquels s’est partagée en sens divers l’opinion des érudits se trouvent résolus d’eux-mêmes, pour ainsi dire, par les faits de cette curieuse histoire. Quelle fortune pouvait faire sous la domination franke le Gaulois et l’homme de condition servile ? Comment se gouvernaient alors les villes épiscopales placées sous la double autorité de leur comte et de leur évêque ? Quelles étaient les relations mutuelles de ces deux pouvoirs naturellement ennemis, ou au moins rivaux l’un de l’autre ? Voilà des questions auxquelles répond clairement le simple récit des aventures du fils de Leocadius.

D’autres points de controverse historique auront été, du moins je l’espère, mis également hors de tout débat sérieux par les récits qui précèdent. Bien que remplis de détails, et marqués de traits essentiellement individuels, ces récits ont tous un sens général, facile à formuler pour chacun d’eux. L’histoire de l’évêque Prætextatus est le tableau d’un concile gallo-frank ; celle du jeune Merowig montre la vie de proscrit, et l’intérieur des asiles religieux ; celle de Galeswinthe peint la vie conjugale et les mœurs domestiques dans les palais mérovingiens ; enfin, celle du meurtre de Sighebert présente, à son origine, la longue hostilité nationale de l’Austrasie contre la Neustrie. Peut-être ces différentes vues des hommes et des choses du vie siècle, ressortant d’un fond purement narratif, seront-elles, par cela même, plus nettes et plus fixes pour le lecteur. On a dit que le but de l’historien était de raconter, non de prouver[1] ; je ne sais, mais je suis certain qu’en histoire le meilleur genre de preuve, le plus capable de frapper et de convaincre tous les esprits, celui qui permet le moins de défiance et laisse le moins de doutes, c’est la narration complète, épuisant les textes, rassemblant les détails épars, recueillant jusqu’aux moindres indices des faits ou des caractères, et, de tout cela, formant un corps auquel vient le souffle de vie par l’union de la science et de l’art.


Augustin Thierry.
  1. Scribitur (historia) ad narrandum, non ad probandum ; totumque opus non ad actum rei pugnamque præsentem, sed ad memoriam posteritatis et ingenii famam componitur. (Quintiliani, Institutione orat., lib. x, cap. i)