Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
6
REVUE DES DEUX MONDES.

contre les troncs noueux et les décombres qui l’obstruent à chaque pas. Ce sombre ravin et ce triste castel, c’est la Roche-Mauprat.

Il n’y a pas longtemps que le dernier des Mauprat, à qui cette propriété tomba en héritage, en fit enlever la toiture et vendre tous les bois de charpente ; puis, comme s’il eût voulu donner un soufflet à la mémoire de ses ancêtres, il fit jeter à terre le portail, éventrer la tour du nord, fendre de haut en bas le mur d’enceinte, et partit avec ses ouvriers, secouant la poussière de ses pieds, et abandonnant son domaine aux renards, aux orfraies et aux vipères. Depuis ce temps, quand les bûcherons et les charbonniers qui habitent les huttes éparses aux environs, passent dans la journée sur le haut du ravin de la Roche-Mauprat, ils sifflent d’un air arrogant, ou envoient à ces ruines quelque énergique malédiction ; mais quand le jour baisse, et que l’engoulevent commence à glapir du haut des meurtrières, bûcherons et charbonniers passent en silence, pressant le pas, et de temps en temps faisant un signe de croix pour conjurer les mauvais esprits qui règnent sur ces ruines.

J’avoue que moi-même je n’ai jamais côtoyé ce ravin la nuit, sans éprouver un certain malaise, et je n’oserais pas affirmer par serment que, dans de certaines nuits orageuses, je n’aie pas fait sentir l’éperon à mon cheval pour en finir plus vite avec l’impression désagréable que me causait ce voisinage.

C’est que, dans mon enfance, j’ai placé le nom de Mauprat entre ceux de Cartouche et de la Barbe-Bleue, et qu’il m’est souvent arrivé alors de confondre, dans des rêves effrayans, les légendes surannées de l’ogre et de Croque-Mitaine avec les faits tout récens qui ont donné une sinistre illustration, dans notre province, à cette famille des Mauprat.

Souvent, à la chasse, lorsque mes camarades et moi nous quittions l’affût, pour aller nous réchauffer aux tas de charbons allumés que les ouvriers surveillent toute la nuit, j’ai entendu ce nom fatal expirer sur leurs lèvres à notre approche. Mais lorsqu’ils nous avaient reconnus, et qu’ils s’étaient bien assurés que le spectre d’aucun de ces brigands n’était caché parmi nous, ils nous racontaient, à demi-voix, des histoires à faire dresser les cheveux sur la tête, et que je me garderai bien de vous communiquer, désolé que je suis d’en avoir noirci et endolori ma mémoire.