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tation, cette incertitude dans l’art actuel est pénible à voir, et fait réfléchir sérieusement sur son avenir.

À jeter les yeux sur le passé, à se rappeler les noms de ses plus glorieux enfans, nous trouvons depuis le xvie siècle que ce sont les hommes de réflexion et de pensée qui dominent et représentent le mieux le génie français. C’est Clouet, Poussin, Lesueur, Lebrun, David, tous hommes patiens et de labeur, tous nourrissons plus ou moins de l’Italie, tous dessinateurs corrects et froids, traînant à leur suite une foule d’imitateurs plus froids encore, et écrasant de leur nombre deux ou trois coloristes. De nos jours, les artistes qui éveillent le plus l’attention et la sympathie du public ont de l’affinité avec les premiers peintres que nous venons de nommer, et surpassent en nombre les organisations qui se rapprochent du Nord. Peut-être est-il dans notre nature de pencher vers le Midi plutôt que vers le Nord. Peut-être l’élément latin, qui l’emporte sur tous les autres élémens de notre langage, doit-il dominer dans notre sentiment de l’art. Peut-être avons-nous plus de raison que d’imagination. Quoi qu’il en soit, si l’élément latin domine, nous désirons qu’il se montre franchement ; et si l’élément du Nord existe, bien que plus rare, qu’il apparaisse hardiment et n’abâtardisse pas ses fruits. Dans l’art, l’homme n’a pas qu’une seule manière d’exprimer la nature et de rendre sa pensée, il a le dessin, et ensuite la couleur. Il est vrai que Dieu, en imposant à la matière les divins contours préconçus dans sa pensée éternelle, n’oublia pas la couleur et fit jaillir la lumière sur la face du monde. Mais l’art humain, en imitant la main divine, ne peut jamais atteindre à l’harmonie parfaite du dessin et de la couleur. Il arrive donc presque toujours que l’on est organisé plutôt pour l’une que pour l’autre ; c’est pourquoi bien des maîtres, s’appuyant sur la faiblesse humaine, et désespérant d’arriver à la réunion complète des deux qualités, ont pris le parti, pour monter au faîte de la renommée, de pousser aussi loin que possible la qualité qui était le plus dans leur sentiment.

Cependant, tout en conseillant aux peintres de marcher dans le sens de leur instinct, nous ne voulons pas qu’ils tombent dans l’exagération et commettent les attentats les plus graves contre la raison et la souveraine beauté. Nous ne voulons pas que,