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et aussi blanche que son peignoir de mousseline et que ses mules de satin garnies de cygne ; sa main fine et transparente était à mes yeux comme un bijou inconnu. Je ne m’étais jamais douté de ce que c’était qu’une femme ; la beauté, pour moi, ç’avait été, jusqu’alors, la jeunesse et la santé avec une sorte de hardiesse virile. Edmée en amazone s’était un peu montrée sous cet aspect la première fois, et je l’avais mieux comprise ; maintenant je l’étudiais de nouveau, et je ne pouvais plus concevoir que ce fut là cette femme que j’avais tenue dans mes bras à la Roche-Mauprat. Le lieu, la situation, mes idées elles-mêmes, qui commençaient à recevoir du dehors un faible rayon de lumière, tout contribuait à rendre ce second tête-à-tête bien différent du premier.

Mais le plaisir étrange et inquiet que j’éprouvais à la contempler fut troublé par l’arrivée d’une duègne, qu’on appelait Mlle Leblanc, et qui remplissait les fonctions de femme de chambre dans les appartemens particuliers, celles de demoiselle de compagnie au salon. Elle avait peut-être reçu de sa maîtresse l’ordre de ne pas nous quitter ; il est certain qu’elle s’assit auprès de la chaise longue, de manière à présenter, à mon œil désappointé, son dos sec et long, à la place du beau visage d’Edmée ; puis elle tira son ouvrage de sa poche et se mit à tricoter tranquillement. Pendant ce temps, les oiseaux gazouillaient, le chevalier toussait, Edmée dormait ou faisait semblant de dormir, et j’étais à l’autre bout de l’appartement, la tête penchée sur les estampes d’un livre que je tenais à l’envers.

Au bout de quelque temps, je m’aperçus qu’Edmée ne dormait pas et qu’elle causait à voix basse avec sa suivante ; je crus voir que celle-ci me regardait en dessous de temps en temps et comme à la dérobée. Pour éviter l’embarras de cet examen, et aussi par un instinct de ruse qui ne m’était pas étranger, j’appuyai mon visage sur le livre, et le livre sur la console, et, dans cette posture, je restai comme endormi ou absorbé. Alors elles élevèrent peu à peu la voix, et j’entendis ce qu’elles disaient de moi. — C’est égal, mademoiselle a pris un drôle de page. — Leblanc, tu me fais rire avec tes pages. Est-ce qu’on a des pages, à présent ? Tu te crois toujours avec ma grand’mère. Je te dis que c’est le fils adoptif de mon père. — Certainement M. le chevalier fait bien d’adopter un fils, mais où diable a-t-il pêché cette figure-là ?