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MAUPRAT.

sine, je ne consentirai jamais à faire une pareille brèche dans sa fortune. Je sais bien qu’elle ferait volontiers le sacrifice d’une partie de sa dot pour se dispenser…

Edmée, qui était restée fort pâle et comme distraite jusque-là, me lança tout à coup un regard étincelant, et m’interrompit pour me dire avec assurance : — Pour me dispenser de quoi, s’il vous plaît, Bernard ?

Je vis que, malgré son courage, elle était fort émue ; car elle brisa son éventail en le fermant. Je lui répondis, avec un regard où l’honnête malice du campagnard devait se peindre : — Pour vous dispenser, cousine, de tenir certaine promesse que vous m’avez faite à la Roche-Mauprat.

Elle devint plus pâle qu’auparavant, et son visage prit une expression de terreur que déguisait mal un sourire de mépris.

— Quelle promesse lui avez-vous donc faite, Edmée ? dit le chevalier en se tournant vers elle avec candeur. En même temps, le curé me serra le bras à la dérobée, et je compris que le confesseur de ma cousine était en possession de notre secret.

Je haussai les épaules. Leurs craintes me faisaient injure et pitié.

— Elle m’a promis, repris-je en souriant, de me regarder toujours comme son frère et son ami. Ne sont-ce pas là vos paroles, Edmée, et croyez-vous que cela se prouve avec de l’argent ?

Elle se leva avec vivacité, et me tendant la main, elle me dit d’une voix émue : — Vous avez raison, Bernard, vous êtes un grand cœur, et je ne me pardonnerais pas si j’en doutais un instant. Je vis une larme au bord de sa paupière, et je serrai sa main, un peu trop fort sans doute, car elle laissa échapper un petit cri accompagné d’un charmant sourire. Le chevalier m’embrassa, et l’abbé dit à plusieurs reprises, en s’agitant sur sa chaise : — C’est beau, c’est noble ! c’est très beau ! On n’a pas besoin d’apprendre cela dans les livres, ajouta-t-il en s’adressant au chevalier. Dieu écrit sa parole et répand son esprit dans le cœur de ses enfans.

— Vous verrez, dit le chevalier vivement attendri, que ce Mauprat relèvera l’honneur de la famille. Maintenant, mon cher Bernard, je ne te parlerai plus d’affaires. Je sais comment je dois agir, et tu ne peux pas m’empêcher de faire ce que bon me semblera pour que mon nom soit réhabilité dans ta personne. La