Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/301

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
291
LES TEMPLIERS.

de perdre en ses rivaux des mécréans doublement dangereux, et par l’importation des superstitions sarrasines, et par leurs liaisons avec les mystiques occidentaux, qui ne voulaient plus adorer que le Saint-Esprit.

Le coup ne fut pas imprévu, comme on l’a dit. Les templiers eurent le temps de le voir venir[1] ; mais l’orgueil les perdit : ils crurent toujours qu’on n’oserait.

Le roi hésitait en effet. Il avait d’abord essayé des moyens indirects. Par exemple, il avait demandé à être admis dans l’ordre. S’il y eût réussi, il se serait probablement fait grand-maître ; comme fit Ferdinand le Catholique pour les ordres militaires d’Espagne. Il aurait appliqué les biens du Temple à son usage, et l’ordre eût été conservé.

Depuis la perte de la Terre-Sainte, et même antérieurement, on avait fait entendre aux templiers qu’il serait urgent de les réunir aux hospitaliers. Réuni à un ordre plus docile, le Temple eût présenté peu de résistance aux rois.

Ils ne voulurent point entendre à cela. Le grand-maître, Jacques Molay, pauvre chevalier de Bourgogne, mais vieux et brave soldat qui venait de s’honorer en Orient par les derniers combats qu’y soutinrent les chrétiens, répondit que saint Louis avait, il est vrai, proposé autrefois la réunion des deux ordres, mais que le roi d’Espagne n’y avait point consenti ; que, pour que les hospitaliers fussent réunis aux templiers, il faudrait qu’ils s’amendassent fort ; que les templiers étaient plus exclusivement fondés pour la guerre. Il finissait par ces paroles hautaines : « On trouve beaucoup de gens qui voudraient ôter aux religieux leurs biens, plutôt que de leur en donner… Mais si l’on fait cette union des deux ordres, cette religion sera si forte et si puissante, qu’elle pourra bien défendre ses droits contre toute personne au monde. »

Pendant que les templiers résistaient si fièrement à toute concession, les mauvais bruits allaient se fortifiant. Eux-mêmes y contribuaient. Un chevalier disait à Raoul de Presles, l’un des hommes les plus graves du temps : « Que dans le chapitre général

  1. Ils avaient de sombres pressentimens. Un templier anglais, rencontrant un chevalier nouvellement reçu : « Esne frater noster receptus in ordine ? Cui respondens, ita. Et ille : Si sederes super campanile sancti Pauli Londini, non posses videre majora infortunia quam tibi contingent antequam moriaris. » (Conc. brit., pag. 387, col. ii.)