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yeux étincelans. Selon quelques-uns, c’était un crâne d’homme. D’autres y substituaient un chat[1].

Quoi qu’il en fût de ces bruits, Philippe-le-Bel n’avait pas perdu de temps. Le jour même de l’arrestation, il vint de sa personne s’établir au Temple avec son trésor et son trésor des chartes, avec une armée de gens de loi, pour instrumenter, inventorier. Cette belle saisie l’avait fait riche tout d’un coup…


L’étonnement du pape fut extrême quand il apprit que le roi se passait de lui dans la poursuite d’un ordre qui ne pouvait être jugé que par le saint-siége. La colère lui fit oublier sa servilité ordinaire, sa position précaire et dépendante au milieu des états du roi. Il suspendit les pouvoirs des juges ordinaires, archevêques et évêques, ceux même des inquisiteurs.

La réponse du roi est rude. Il écrit au pape : Que Dieu déteste les tièdes, que ces lenteurs sont une sorte de connivence avec les

  1. Selon les plus nombreux témoignages, c’était une tête effrayante avec longue barbe blanche, et des yeux étincelans. (Rayn. p. 261.) Dans les instructions que Guillaume de Paris envoyait aux provinces, il ordonnait de les interroger sur « une ydole qui est en forme d’une teste d’homme à une grant barbe. » Et l’acte d’accusation que publia la cour de Rome portait, art. 16, « que dans toutes les provinces ils avaient des idoles, c’est-à-dire des têtes dont quelques-unes avaient trois faces et d’autres une seule, et qu’il s’en trouvait qui avaient un crâne d’homme. » (Art. 47 et suivans.) « Que dans les assemblées et surtout dans les grands chapitres, ils adoraient l’idole, comme un Dieu, comme leur sauveur, disant que cette tête pouvait les sauver, qu’elle accordait à l’ordre toutes les richesses, et qu’elle faisait fleurir les arbres et germer les plantes de la terre. » (Rayn. p. 287.) Les nombreuses dépositions des templiers en France, en Italie, et plusieurs témoignages indirects en Angleterre, répandirent ce chef d’accusation et ajoutèrent quelques circonstances. On adorait cette tête comme celle d’un sauveur, « quoddam caput cum barba quod adorant et vocant salvatorem suum. » (Rayn. 282.) Un chevalier dépose que celui qui le recevait lui montra une tête ou idole qui lui parut avoir trois faces, en lui disant : « Tu dois l’adorer comme ton sauveur et le sauveur de l’ordre du Temple ; » et que lui témoin adora l’idole disant : « Béni soit celui qui sauvera mon ame. » (P. 247 et 293.) Un autre, reçu à Rome dans une chambre du palais de Latran, dépose qu’on lui dit en lui montrant l’idole : « Recommande-toi à elle, et prie-la qu’elle te donne la santé. » (P. 295.) Selon le premier témoin de Florence, les frères adressaient à l’idole les paroles chrétiennes : « Deus, adjuva me, » et il ajoutait que cette adoration était un rit observé dans tout l’ordre. (P. 294.) En Angleterre, un frère mineur dépose avoir appris d’un templier anglais qu’il y existait quatre principales idoles, une dans la sacristie du temple de Londres, la seconde à Bristelham, la troisième apud Brueriam, et la quatrième au delà de l’Humber. (P. 297.) Le second déclare que dans un chapitre, un frère dit aux autres : « Adorez cette tête, istud caput vester Deus est et vester Mahomet. » (P. 295.) Ganserand de Montpesant dit qu’elle était faite in figuram Baffomati, et Raymond Rubet déposant qu’on lui avait montré une tête de bois où était peinte figura