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le roi avait agi sans malignité, qu’il eût plutôt, comme un autre Sem, caché la honte, la nudité paternelle… Nogaret lui-même est absous, à condition qu’il ira à la croisade (s’il y a croisade), et qu’il servira toute sa vie à la Terre-Sainte ; en attendant, il fera tel et tel pèlerinage. Le continuateur de Nangis ajoute malignement une autre condition, c’est que Nogaret fera le pape son héritier.

Il y eut ainsi compromis. Le roi cédant sur Boniface, le pape lui abandonna les templiers. Il livrait les vivans pour sauver un mort ; mais ce mort était la papauté elle-même.

Ces arrangemens faits en famille, il restait à les faire approuver par l’église. Le concile de Vienne s’ouvrit le 16 octobre 1312, concile œcuménique, où siégèrent plus de trois cents évêques ; mais il fut plus solennel encore par la gravité des matières que par le nombre des assistans.

D’abord on devait parler de la délivrance des saints lieux ; tout concile en parlait, chaque prince prenait la croix, et tous restaient chez eux. Ce n’était qu’un moyen de tirer de l’argent.

Le concile avait à régler deux grandes affaires, celle de Boniface et celle du Temple. Dès le mois de novembre, neuf chevaliers se présentèrent aux prélats, s’offrant bravement à défendre l’ordre, et déclarant que quinze cents ou deux mille des leurs étaient à Lyon ou dans les montagnes voisines, tout prêts à les soutenir. Effrayé de cette déclaration, ou plutôt de l’intérêt qu’inspirait le dévouement des neuf, le pape les fit arrêter.

Dès-lors il n’osa plus rassembler le concile. Il tint les évêques inactifs tout l’hiver, dans cette ville étrangère, loin de leur pays et de leurs affaires, espérant sans doute les vaincre par l’ennui, et les pratiquant un à un.

L’affaire des templiers fut reprise au printemps. Le roi mit la main sur Lyon, leur asile. Les bourgeois l’avaient appelé contre leur archevêque ; cette ville impériale était délaissée de l’Empire, et elle convenait trop bien au roi, non-seulement comme le nœud de la Saône et du Rhône, la pointe de la France à l’est, comme tête de route vers les Alpes ou la Provence, mais surtout comme asile de mécontens, comme nid d’hérétiques. Philippe y tint une

    deux chevaliers catalans jetèrent le gant, et s’offrirent pour défendre en combat l’innocence de Boniface. (Villani, liv. ix, chap. xxii, pag. 454.)