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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

pas. » Ici je saute lestement la scabreuse aventure d’une échelle où est montée certaine Jeanneton, le détail d’une jambe très peu fine et très peu blanche entrevue, et d’une prison au pain sec, un jour de mardi-gras. Le mélange de sensualité, en partie voluptueuse, en partie gourmande, de décence pourtant (le genre admis), et de malice anti-cléricale, rappelle sans abus le meilleur sel des fabliaux. Si Jasmin avait vécu au temps des troubadours, s’il avait écrit en cette littérature perfectionnée dont il vient, après Goudouli, Dastros et Daubace, et, à ce qu’il paraît, plus qu’aucun d’eux, embellir encore aujourd’hui les débris, il aurait cultivé la romance sans doute, et quelques heureux essais de lui en font foi ; mais il aurait, j’imagine, préféré le sirvente, et, en présence des tendres chevaliers, des nobles dames, des Raymond de Toulouse et des comtesses de Die, il aurait introduit quelque récit railleur d’un genre plus particulier aux trouvères du Nord, quelque novelle peu mystique et assez contraire au vieux poème de la vie de sainte Fides d’Agen.

Chassé incontinent du séminaire, moins pour avoir regardé la jambe de Jeanneton que pour avoir touché, dans sa prison, aux confitures du chanoine, le pauvre Jasmin accourt au logis ce même jour de mardi-gras. La table est mise, un morceau de mouton, qui achève de cuire, va y être servi : qu’attend-on ? Mais, au récit de Jasmin, la consternation est générale : « Nous n’en aurons plus, » dit la mère en soupirant. — « Nous n’aurons plus de quoi ? » dit Jasmin avec anxiété. Plus de miche (de pain blanc), cette ration quotidienne que la mère allait chercher au séminaire. Pourtant une idée vient à la pauvre mère, et sortant elle leur dit d’attendre un moment et d’espérer. Elle rentre en effet bientôt, avec un morceau de pain sous le bras, et tous les enfans, joyeux, à table, oublient la détresse. Jasmin seul reste pensif et cherche à s’assurer de ce qu’il soupçonne à travers le triste sourire de sa mère. Au moment où elle prend un couteau pour trancher le mouton, il jette un coup d’œil sur sa main qu’elle voudrait dérober : ce n’est que trop vrai !… elle a vendu son anneau.

Ceci est la fin du second chant. Le troisième nous transporte au haut d’une maison dont la façade est peinte en couleur bleu de ciel ; dans sa petite chambre, sous la tuile, Jasmin, qui n’est qu’apprenti encore, à la lueur d’une lampe dont le reflet se joue aux