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LA VÉNUS D’ILLE.

homme ; il était déjà raide et froid. Les dents serrées et la figure noircie exprimaient les plus horribles angoisses. Il paraissait assez que sa mort avait été violente et son agonie terrible. Nulle trace de sang cependant sur ses habits. J’écartai sa chemise, et vis sur sa poitrine une empreinte livide qui se prolongeait sur les côtes et le dos. On eût dit qu’il avait été étreint dans un cercle de fer. Mon pied posa sur quelque chose de dur qui se trouvait sur le tapis ; je me baissai et vis la bague de diamans.

J’entraînai M. de Peyrehorade et sa femme dans leur chambre ; puis j’y fis porter la mariée. — Vous avez encore une fille, leur dis-je, vous lui devez vos soins. — Alors je les laissai seuls.

Il ne me paraissait pas douteux que M. Alphonse n’eût été victime d’un assassinat, dont les auteurs avaient trouvé moyen de s’introduire la nuit dans la chambre de la mariée. Ces meurtrissures à la poitrine, leur direction circulaire, m’embarrassaient beaucoup pourtant, car un bâton ou une barre de fer n’aurait pu les produire. Tout d’un coup je me souvins d’avoir entendu dire qu’à Valence, des braves se servaient de longs sacs de cuir, remplis de sable fin, pour assommer les gens dont on leur avait payé la mort. Aussitôt je me rappelai le muletier aragonais et sa menace ; toutefois j’osais à peine penser qu’il eût tiré une si terrible vengeance d’une plaisanterie légère.

J’allais dans la maison, cherchant partout des traces d’effraction, et n’en trouvant nulle part. Je sortis dans le jardin pour voir si les assassins s’étaient introduits de ce côté ; mais je ne trouvai aucun indice certain. La pluie de la veille avait d’ailleurs tellement détrempé le sol, qu’il n’aurait pu garder d’empreinte bien nette. J’observai pourtant quelques pas profondément imprimés dans la terre ; il y en avait dans deux directions contraires, mais sur une même ligne, partant de l’angle de la haie contiguë au jeu de paume, et aboutissant à la porte de la maison. Ce pouvaient être les pas de M. Alphonse, lorsqu’il était allé chercher son anneau au doigt de la statue. D’un autre côté, la haie, en cet endroit, étant moins fourrée qu’ailleurs, ce devait être sur ce point que les meurtriers l’auraient franchie. Passant et repassant devant la statue, je m’arrêtai un instant pour la considérer. Cette fois, je l’avouerai, je ne pus contempler sans effroi son expression de méchanceté ironique ; et la tête toute pleine des scènes horribles