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dernières visions de ce beau rêve nous montrent, comme deux foyers lumineux rayonnant sur l’humanité entière, Constantinople et Paris : — la machine à progrès est complétée par l’Autriche, qui fonctionne en qualité de conducteur, et promène bénévolement l’étincelle civilisatrice. La pensée de M. Urquhart est beaucoup moins pittoresque. Pour lui, Anglais, la Turquie est un pays qui possède 3,000 milles de côtes, un territoire de 5,000 milles carrés couvert des produits les plus variés, abondant en forêts et en richesses minérales, ouvrant d’innombrables communications avec l’Asie ; un pays qui, privé d’industrie, doit désirer l’échange des matières premières, et notamment du coton et de la soie, contre des objets manufacturés. L’auteur anglais démontre fort bien que l’intérêt de l’Angleterre est de maintenir l’intégrité de la Turquie, dans l’espoir d’y commander le marché. Enfin les deux écrivains tombent d’accord sur un point, qui a du moins le mérite de la nouveauté. Ils affirment que la Turquie possède en elle-même les élémens de sa réorganisation, qu’elle peut sortir plus forte que jamais de la crise qu’elle subit, déjouer toutes les intrigues mises en œuvre pour la perdre, et servir long-temps de barrière à l’Europe contre les envahissemens de la Russie. Or, ce principe de salut, c’est l’existence des institutions locales et municipales découvertes par M. Urquhart, à qui nous laissons la parole :

« En nous servant du terme : institutions municipales, nous entendons désigner l’administration que les habitans d’un village, d’un bourg, ont établie pour régir les affaires de la localité, avec une constitution bien distincte, et une indépendance bien nette du gouvernement politique. Les Turcs renversèrent l’administration, les institutions, les coutumes, la hiérarchie qui existaient sous l’empire d’Orient ; mais ils n’imposèrent à leurs tributaires ni leurs formes administratives, ni leur loi civile, qui était écrite dans leurs livres religieux. Aussi les institutions adoptées par les rayas sont si indépendantes du code musulman, que, partout où la prospérité s’est développée, on peut remarquer qu’il y a eu absence complète de rapports politiques avec la Porte. J’irai plus loin, et je dirai que le développement de la prospérité est la conséquence invariable de la négligence de l’administration centrale. »

Si la sublime Porte, ne peut régénérer son peuple qu’à force de le négliger, il nous semble que sa conservation est au moins inutile. Nous croyons encore que la diversité des institutions ne sera pas généralement approuvée comme un gage de stabilité, et que les politiques persisteront à considérer l’empire turc comme une agglomération d’esclaves, auxquels on laisse la faculté de se régir comme ils veulent ou comme ils peuvent, pourvu qu’ils paient à leurs maîtres le tribut qui ne les exempte pas toujours des avanies. Au surplus, notre dissentiment en cette matière